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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

seaux de ligne, qui n’auraient pu y pénétrer qu’après avoir passé sous les canons des forts. En même temps il proposait de creuser un bassin pour la marine royale dans un lieu nommé le Galet, situé à la gauche de l’entrée de la seconde partie de la baie. Le prévoyant maréchal de Vauban avait jadis fait acheter et conserver ce terrein par l’administration de la marine. C’était un lieu qu’on nommait le Pré-du-roi. Quelques vieillards de Cherbourg se souviennent encore d’avoir vu les épis se balancer dans cette enceinte où les flots de la mer battent aujourd’hui des quais de granit. L’un d’eux me disait que le jour où l’on faucha les moissons du Pré-du-roi, pour tracer le creusement du bassin, on arrachait en même temps les premiers blocs de pierre à la montagne du Roule, et on les transportait encore couverts de mousse, à l’entrée de la baie, pour jeter au fond de la mer les assises de la digue. Il s’agissait, en effet, de faire couler les flots là où les moissons jaunissaient, et de changer les eaux les plus profondes de la Manche en un terrein solide. Ce miracle s’est opéré, et si bien opéré que, il y a peu de jours, je visitais un vaisseau de guerre à trois ponts, mouillé sur le Pré-du-roi, et que de là j’allai cueillir des fraises dans un petit jardin, jeté, comme une oasis fleurie, au milieu des varechs, des goémons et de toutes les plantes marines qui tapissent les enrochemens de la digue.

La Bretonnière eut de grands obstacles à surmonter. Les grosses têtes de la marine s’opposaient, on ne sait pourquoi, à l’établissement d’un grand port militaire à Cherbourg. On avait beau leur représenter que les événemens de la dernière guerre rendaient cet établissement indispensable pour nos escadres, sans cesse forcées de s’engager entre les trois ports anglais de la Manche, Deal, Porstmouth et Plymouth, le ministre et les siens écoutaient toutes les raisons et refusaient de s’y rendre. On peut se faire une idée de l’administration maritime de ce temps-là par l’objection qui fut faite à La Bretonnière. On lui proposa de former l’établissement qu’il projetait, à la Hogue, située sur l’autre revers de la presqu’île du Cotentin, dans la baie de Caen. En vain disait-il que la rade de la Hogue est voisine d’une longue chaîne de roches très dangereuses ; que, pour y pénétrer, il faut doubler le raz de Barfleur, passage très difficile, où les flots, sautant d’une baie à