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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

une longue veine bleue, qui se détache sur la grande surface verte. Après avoir créé le port, les deux petites rivières paisibles et modestes travaillent sans cesse à le conserver, et chaque jour elles viennent le nettoyer des amas de sable et de galets que le flot apporte en déferlant, et qu’elles repoussent opiniâtrement vers la mer.

Ce port de Cherbourg, créé par la mer, et entretenu par les eaux protectrices de ces deux rivières, était jadis d’une extrême simplicité. Le flot de chaque marée y pénétrait sans obstacles, la mer montait alors jusqu’au pied des montagnes qui ceignent la ville, apportant pêle-mêle tous les vaisseaux qui se présentaient à l’entrée de la baie, leur servant de pilote, et les déposant avec bonté sur cette vaste plage, où les reprenait une autre marée, qui les portait à la haute mer quand ils voulaient sortir.

Ce n’est que vers l’année 1739 que les premiers travaux savans furent entrepris à Cherbourg ; ces travaux consistaient en un fragment de jetée, quelques murs de quai, une écluse et un pont tournant. Il n’était pas encore question de digue.

On travailla jusqu’en 1758. Alors vinrent les Anglais qui débarquèrent à l’anse d’Urville, voisine de Cherbourg de deux lieues. Pendant huit jours que dura leur occupation, ils détruisirent tous ces travaux en faisant jouer la mine, pillèrent, rasèrent les habitations, et ne se rembarquèrent qu’après avoir chargé sur leurs vaisseaux toute l’artillerie qui défendait les côtes. À la vérité, elle n’était pas très considérable.

Cet événement devait faire sentir au gouvernement la nécessité de fortifier l’entrée du port de Cherbourg, et de se rendre maître de tous les abords de cette vaste baie ; mais alors, comme aujourd’hui, les intrigues de cour, et le soin de se conserver en place, occupaient beaucoup plus les ministres que la défense du territoire. Dumouriez, qui fut nommé gouverneur de Cherbourg, vingt ans après la descente des Anglais, esprit ardent, ferme et opiniâtre, faillit essuyer une disgrâce pour avoir placé, sans autorisation, quelques pièces de canon et deux ou trois mortiers sur la batterie de l’Île Pelée. Le prince de Montbarrey, ministre de la guerre, eut l’ineptie de lui écrire qu’il compromettait l’artillerie du roi. Dumouriez lui répondit très spirituellement que l’artillerie du roi