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dans le château qui s’était ouvert pour Haigrold, et qui devait s’ouvrir encore pour tant d’autres fugitifs couronnés !

Jean-Sans-Terre, abhorré de ses sujets, battu à Bovines, dépouillé de ses domaines de Normandie, vint à son tour à ce château. Il y laissa de sanglantes traces. C’est de là qu’il fit précipiter du haut d’un rocher son neveu Artus, dernier comte de Bretagne, qui lui avait disputé la couronne d’Angleterre. Jean-Sans-Terre était un digne prince qui, même dans le malheur, se conduisait en roi.

Le triste Charles de Navarre reçut Cherbourg en présent de son beau-père, le roi Jean, qui le fit enfermer dans le château des Andelys, d’où il s’échappa déguisé en charbonnier. Le pauvre charbonnier ne fut pas maître chez lui ; lui et ses fils passèrent leur vie dans les cachots de Pierre-le-Cruel, de Jean, et de Charles v. La fin fut digne du commencement. On sait qu’il mourut brûlé dans l’esprit de vin dont on imprégnait des draps pour le réchauffer.

Ensuite Cherbourg vit le duc de Glocester, frère de Henri v, qui s’en empara ; Marguerite d’Anjou, au sortir de sa prison d’Angleterre ; puis François Ier, au sortir de sa prison de Pavie ; puis le misérable Jacques ii, le dernier des Stuarts, qui y débarqua en 1688, et y revint quatre ans plus tard pour voir Tourville se faire battre par la flotte anglaise ; puis Louis xvi, puis Napoléon, puis Charles x, puis don Pedro, les uns glorieux et triomphans, les autres humiliés, battus et fugitifs, mais qui tous ne devaient pas mourir sur le trône. Cherbourg attend aujourd’hui le roi Louis-Philippe.

C’est la position unique de Cherbourg qui lui a valu tous ces honneurs. Deux petites rivières à peine remarquées aujourd’hui, vives et limpides, la Divette et le Trottebec, ont fait ce fameux port de Cherbourg, avant que de savantes mains l’eussent rendu ce qu’il est. Ces deux petits cours d’eau, qui coulent paisiblement entre des saules, se réunissent à l’extrémité de la vallée que forment les deux hautes montagnes du Roule et de la Fauconnière ; et, ainsi réunis, entrelacés, traversent gaîment l’ancien bassin, le port et le chenal, pour se mêler aux eaux de la mer au milieu desquelles ils forment encore quelque temps, dans les eaux basses,