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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

château de Cherbourg devait être un ouvrage imposant, car Froissard en dit, « c’est l’ung des forts châteaux du monde, » et Ordéric Vital y fait loger deux ans le roi Haigrold avec sa suite, venus sur une flotte de soixante voiles. Il fuyait son fils Swénon, qui l’avait détrôné, et Guillaume Longue-Épée, duc de Normandie, lui assigna cette résidence pour y rassembler ses forces. Depuis, Richard iii, aussi duc de Normandie, assigna pour douaire à la princesse Adèle, sa femme, fille du roi Robert, ce château de Carusbourg, que Wace nommait lui li chastel de Chierisbore. Pendant plusieurs siècles, ce fut un théâtre bien animé que cette plage. Les princes normands y apparaissaient sans cesse avec leurs nefs chargées de banderolles. Édouard-le-Confesseur s’y embarqua royalement, pour aller prendre possession du trône d’Angleterre. Guillaume-le-Roux vint y débarquer ses hommes d’armes à la fin du onzième siècle. Quelques années après un autre roi d’Angleterre s’y présenta joyeusement, et ne reparut dans son royaume que couvert de deuil et baigné de larmes. Le vaisseau renommé sur lequel il se trouvait, portait un long pavillon de pourpre, broché de soie, qui fut bientôt remplacé par de grandes bannières noires. Son fils unique, Guillaume, avait péri dans la traversée, sur la Blanche-Nef, vaisseau royal, qu’il montait, avec un grand nombre de seigneurs et de dames. Richard-Cœur-de-Lion, Henri ii, sa nièce Éléonore, furent aussi les hôtes habituels de Cherbourg, ainsi qu’Édouard iii, visiteur plus terrible, qui l’attaqua avec une formidable armée, mais qui ne put entrer dans le chastel, dit Froissard, « tant il le trouva fort et garni de gendarmes. » Pour se consoler, Édouard s’en alla gagner la bataille de Crécy, et faire le siége de Calais, dont les habitans n’échappèrent pas au sort qu’il réservait à ceux de Cherbourg.

Depuis ce pauvre roi danois Haigrold, qui vint s’établir à Cherbourg avec sa petite colonie de sujets fidèles, que de princes malheureux sont venus chercher un refuge sur ce rivage ! On y montre encore une chapelle qu’on recule chaque année de quelques pas, pour la soustraire aux flots qui s’avancent sans cesse davantage. Elle fut élevée après une terrible tempête qui jeta sur cette côte Mathilde, fille de Henri Ier. C’était la veuve d’un empereur, une reine chassée de son royaume. On la reçut fort bien à Cherbourg,