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REVUE DES DEUX MONDES.

Quand sa lèvre est muette, — où pour le condamné
Tout est si près de Dieu que tout est pardonné,
Il venait la passer chez une fille infâme,
Lui ! chrétien, homme, fils d’un homme ! Et cette femme,
Cet être misérable, un brin d’herbe, un enfant,
Sur son cercueil ouvert dormait en l’attendant.

Ô chaos éternel ! prostituer l’enfance !
Ne valait-il pas mieux, sur ce lit, sans défense,
Balafrer ce beau corps au tranchant d’une faux,
Prendre ce cou de neige et lui tordre les os ?
Ne valait-il pas mieux lui poser sur la face
Un masque de chaux vive avec un gant de fer,
Que d’en faire un ruisseau limpide à la surface,
Réfléchissant les fleurs et l’étoile qui passe,
Et d’en salir le fond des poisons de l’enfer !

Oh ! qu’elle est belle encor ! quel trésor, ô nature !
Oh ! quel premier baiser l’amour te préparait !
Quels doux fruits eût portés, quand sa fleur sera mûre,
Cette beauté céleste, et quelle flamme pure
Sur cette chaste lampe un jour s’éveillerait. !

Pauvreté ! pauvreté ! c’est toi la courtisane ;
C’est toi qui dans ce lit as poussé cet enfant
Que la Grèce eût jeté sur l’autel de Diane !
Regarde, — elle a prié ce soir en s’endormant…
Prié ! — qui donc, grand Dieu ! C’est toi qu’en cette vie
Il faut qu’à deux genoux elle conjure et prie ;
C’est toi qui chuchotant, dans le souffle du vent,
Au milieu des sanglots d’une insomnie amère,
Es venue un beau soir murmurer à sa mère :
Ta fille est belle et vierge, et tout cela se vend.
Pour aller au sabbat, c’est toi qui l’as lavée,
Comme on lave les morts pour les mettre au tombeau ;
C’est toi qui cette nuit, quand elle est arrivée,
Aux lueurs des éclairs, courais sous son manteau !