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Sans doute l’esprit ne se refuse pas à concevoir le duel idéal de ces deux types, sans l’intervention d’aucun médiateur. Il est permis à la réflexion de se figurer dans le recueillement de la conscience le combat invisible de ces deux principes opposés, d’assister sans témoins aux coups qu’ils se portent, de les voir chanceler et fléchir, de prophétiser le triomphe ou la défaite. Mais cette simplicité possible ne suffirait probablement pas à l’expression complète de la pensée poétique.

Placé entre Lélia et Sténio, Trenmor semble destiné à la mutuelle interprétation de l’espérance et de l’incrédulité. Il retrouve l’une dans ses souvenirs, et l’autre dans sa conscience. Il s’est confié comme Sténio. Il se défie comme Lélia. En prenant la main des deux adversaires, on croirait qu’il n’a qu’à parler pour les réunir.

Pourtant il n’en est rien. Trenmor sert à l’explication de Lélia et de Sténio, mais il n’affaiblit et n’efface aucun de leurs traits. Sa parole majestueuse et sereine force l’incrédulité à l’indulgence et l’espérance au respect. Mais sa biographie, racontée à Sténio par Lélia, loin d’entamer l’individualité du narrateur, devient au contraire une occasion de franchise et de naïveté. En justifiant son amitié pour Trenmor, Lélia éclaire d’un jour sûr et progressif tous les secrets de son caractère.

Sous ce rapport on ne saurait trop louer l’utilité dramatique de Trenmor. Sans lui Sténio ignorerait éternellement la prédilection maladive de Lélia pour la force, même égoïste et criminelle, et son mépris pour les facultés secondaires, quelle que soit d’ailleurs la légitime régularité de leur développement.

Quand Trenmor a complété pour nous la physionomie intellectuelle de Lélia, Pulchérie paraît sur la scène, et l’entretien des deux sœurs nous apprend tout ce qu’il y a d’angoisses et de blasphèmes dans cette organisation mutilée, harcelée sans relâche par des désirs infinis, humiliée à toute heure par l’impuissance de ses facultés.

Lélia ne s’indigne pas contre l’impudicité réfléchie de Pulchérie, dont elle accepte la nature comme une destinée irrésistible, inévitable, dont elle envie les ressources infinies, mais sans les flétrir. Elle proclame la pauvreté de ses joies, la ridicule ambition