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parfumées de sa chevelure, le front brûlant de ses chastes caresses ; mais il est le jouet d’une horrible déception, et il se réveille dans les bras d’une courtisane impure. Il avait aspiré l’âme de sa bien-aimée sur ses lèvres, et voici qu’il sent sur sa bouche l’haleine chaude d’une femme débauchée qui n’a pas d’âme pour aimer, et qui a passé un bail avec le plaisir.

Sténio ne résiste pas à cette cruelle épreuve, il s’était élevé trop haut pour ne pas faire une chute mortelle. Après avoir plané si long-temps dans les régions éthérées de la divine espérance, il ne peut vivre impunément dans l’atmosphère épaisse et lourde des passions humaines. Il n’a qu’un moyen d’oublier le ciel où il n’a pu monter, c’est de tuer son âme dans l’impudicité.

Et comme il accepte bravement sa destinée nouvelle, comme il ne veut pas revenir sur ses pas, il marche la tête haute, le front découvert, il se plonge sans hésitation et sans frayeur dans les honteuses voluptés qu’il avait dédaignées jusque-là. Puisque Dieu lui refuse la gloire de consoler le malheur, puisqu’il a plu à son caprice de ne pas donner à sa voix l’accent qui devait convaincre l’incrédulité, qu’a-t-il à faire désormais sur la terre ? quelle femme pourrait-il aimer, puisqu’il n’a pas su fléchir et amener à lui celle qu’il avait choisie comme la plus belle et la plus grande ?

Sténio poursuit courageusement le suicide auquel il s’est résolu. Il éteint une à une toutes les illusions de sa jeunesse. Il achète pour sa couche embaumée les plus illustres naissances, les pudeurs les plus rebelles, les vertus les plus obstinées, il s’acharne au plaisir et à l’avilissement ; quand sa raison se réveille et hasarde une remontrance, il s’enivre et impose silence à sa raison. Plongé dans un sommeil stupide, il résiste impassiblement aux lascivetés les plus habiles.

Et un jour il s’aperçoit que ses sens sont morts pour le plaisir comme son âme est morte pour l’amour.

Sa vie est finie, son génie s’éteint, sa lyre se brise. L’idée même de Dieu, et des châtimens qui le menacent, ne peut plus l’enchaîner sur la terre. Au-delà comme en-deçà, la douleur désespérée : le doute conclut pour l’enfer, Sténio se tue.

Mais pourquoi a-t-il perdu courage après une première épreuve ? pourquoi n’a-t-il pas aimé une femme plus jeune et plus confiante ?