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mière passion avec un abandon sans réserve ; elle a aimé vaillamment ; elle a placé sur l’homme qu’elle avait préféré toutes ses forces et toutes ses facultés ; elle ne lui a refusé aucune des joies qu’il souhaitait ; elle n’a reculé devant aucune souffrance ; elle s’est résignée sans murmure à l’égoïsme du plaisir qu’elle ne pouvait partager ; elle ne s’est pas révoltée contre les extases voluptueuses où son âme ne pouvait atteindre ; elle a espéré courageusement que l’homme à qui elle se dévouait lui tiendrait compte de sa persévérance et de ses sacrifices. Long-temps elle a cru que le cœur qu’elle avait divinisé se confierait en elle, et ne se méprendrait pas sur la nature de ses résistances. En confessant naïvement l’inhabileté de ses sens, elle s’est dit que sa franchise et sa loyauté allaient resserrer les liens de cet amour irréalisable pour elle, mais accompli et réalisé pour l’homme de son choix.

Elle s’est trompée. D’abord il a flétri du nom de pudeur hypocrite sa froideur et son indifférence. Honteux de l’impuissance de ses caresses, il a bientôt tremblé devant ce perpétuel dévoûment qui le menaçait d’une reconnaissance infinie et d’une vénération éternelle. Il s’est recueilli en lui-même, et il s’est dit : « Arrêtons-nous tandis qu’il en est temps encore. Cette femme ne peut m’aimer comme je le veux. Rien ne l’attache à moi que l’entêtement et l’orgueil du sacrifice. Chaque fois qu’elle se débat dans mes bras, et qu’elle frémit sous mes étreintes ardentes, je crois lire dans ses yeux le dédain et le mépris de ma nature brutale et grossière. Elle semble se complaire dans son immuable supériorité ; elle me livre sa beauté, et n’accepte pas en échange des joies pareilles aux miennes ; elle ne peut descendre jusqu’à être ma maîtresse : voudrait-elle s’élever jusqu’à être mon Dieu ? serai-je assez imprudent pour me soumettre au despotisme de sa vanité ? Essayons encore d’éveiller ses sens engourdis. »

Et comme il n’a pas réussi, il est arrivé que les désirs de Lélia, ne rencontrant dans la réalité rien qui pût les éteindre et les amortir, ont été s’agrandissant, s’exagérant tous les jours. Alors elle s’est follement aventurée jusqu’à provoquer les caresses qu’elle avait d’abord repoussées, jusqu’à prodiguer les baisers que d’abord elle n’accordait qu’à regret. Lélia, chaste et contenue, a pris l’ardeur dévorante de son âme pour l’effronterie lascive des sens qui lui man-