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découvrir le meilleur : seulement, de temps en temps, ils nous recommandaient de ne pas regarder derrière nous, de peur des éblouissemens et des vertiges, et ces recommandations, faites d’une voix brève et serrée, nous prouvaient que le danger était bien réel.

Tout à coup celui de nos camarades qui les suivait immédiatement jeta un cri, qui nous fit passer à tous un frisson dans les chairs. Il avait voulu poser le pied sur une pierre déjà ébranlée par le poids de ceux qui le précédaient, et qui s’en étaient servi comme d’un point d’appui ; la pierre s’était détachée ; en même temps les branches auxquelles il s’accrochait n’étant point assez fortes pour soutenir seules le poids de son corps, s’étaient brisées entre ses mains.

— Retenez-le, retenez-le donc ! s’écrièrent les guides. Mais c’était chose plus facile à dire qu’à faire. Chacun avait déjà grand’peine à se retenir soi-même ; aussi passa-t-il en roulant près de nous tous sans qu’un seul pût l’arrêter. Nous le croyions perdu, et la sueur de l’effroi au front, nous les suivions des yeux en haletant, lorsqu’il se trouva assez près de Montaigu, le dernier de nous tous, pour que celui-ci pût, en étendant la main, le saisir aux cheveux. Un moment il y eut doute si tous deux ne tomberaient pas. Ce moment fut court, mais il fut terrible, et je réponds qu’aucun de ceux qui se trouvaient là n’oubliera de long-temps la seconde où il vit ces deux hommes oscillant sur un précipice de 2000 pieds de profondeur, ne sachant pas s’ils allaient être précipités, ou s’ils parviendraient à se rattacher à la terre.

Nous gagnâmes enfin une petite forêt de sapins, qui, sans rendre le chemin moins rapide, le rendit plus commode par la facilité que ces arbres nous offraient de nous accrocher à leurs branches ou de nous appuyer à leurs troncs. La lisière opposée de cette petite forêt touchait presqu’à la base du rocher nu, dont la forme a fait donner à la montagne le singulier nom qu’elle porte : des trous creusés irrégulièrement dans la pierre offrent une espèce d’escalier qui conduit au sommet.

Deux d’entre nous seulement tentèrent cette dernière escalade, non que le trajet fût plus difficile que celui que nous venions d’accomplir ; mais il ne nous promettait pas une vue plus étendue, et celle que nous avions sous les yeux était loin de nous dédommager