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est homme d’esprit et d’imagination. À côté de réclamations en faveur de je ne sais trop quelles constitutions qu’il demande pour l’Allemagne, vous le verrez protester de son respect pour la monarchie, plus loin se prendre d’admiration pour la république, et même trouver du bon dans le juste-milieu, pour lequel c’est justice néanmoins de dire que son goût ne se prolonge pas long-temps. Les légitimistes sont les seuls envers lesquels il se montre impitoyable, et qu’il fustige sans miséricorde chaque fois qu’ils se trouvent sur son passage ; on en peut dire autant de l’aristocratie, qu’il est trivial et de mauvais goût d’attaquer en France, depuis que justice en a été faite, mais qui est encore toute puissante en Allemagne, et contre laquelle il y a du courage à lutter. Heine, à notre sens, n’a pas encore acquis tout son développement, mais il est évidemment atteint de la sainte maladie de l’avenir, et, comme tel, nous le reconnaissons pour un des nôtres.

De tous les romans publiés par M. Bulwer, un seul, celui qui marqua son début dans la carrière, avait été négligé par nos traducteurs de profession. Cette lacune était à regretter pour ceux qui, ne se contentant pas du moment actuel, veulent connaître dans un auteur justement populaire le point de départ et les transformations successives qu’a subies son talent ; mais elle s’explique facilement par le peu de succès qu’obtint Falkland[1] en Angleterre. Tout le monde sait que la popularité de M. Bulwer date de Pelham, qui parut un an plus tard. Falkland est loin cependant d’être une œuvre à dédaigner, et nous devons savoir gré au modeste anonyme qui probablement en a jugé ainsi, de l’avoir fait passer dans notre langue. Falkland, ainsi qu’on l’a dit quelque part, n’est guère qu’une mosaïque de Byron et de René ; il ne fait pressentir en rien l’ironie et la satire voilée de Pelham, qui l’a immédiatement suivi ; mais à la simplicité du drame, à la touche parfois vigoureuse, au fini de quelques détails, on devine déjà la main qui, plus tard, a tracé cette simple et pathétique composition d’Eugène Adam. L’action tout entière repose sur deux personnages qui, seuls, occupent constamment la scène : Falkland sombre, désillusionné, croyant mortes ses passions, qui ne font que sommeiller, puis surpris d’éprouver encore l’amour, et sacrifiant la femme innocente qu’il aime à ses désirs sans frein. Cette femme passe des bras de son amant dans ceux de la mort, et nous retrouvons Falkland en Espagne, compagnon de Riego dans la lutte en faveur de la liberté, mais sans enthousiasme, sans conviction, et cherchant plutôt la fin de ses ennuis que le triomphe de la cause qu’il sert. Blessé à mort en même temps que Riego est arrêté, il meurt comme il a vécu, le

  1. Chez Fournier jeune.