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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

thelier. Le premier avait dit un jour que, pour l’affranchissement de son pays, il donnerait sa liberté, le second répondit qu’il donnerait sa vie. Ce double engagement fut entendu, et, lorsque les bourreaux vinrent en réclamer l’accomplissement, ils les trouvèrent prêts tous deux à l’accomplir. Berthelier marcha à l’échafaud. Bonnivard, transporté à Chillon, y trouva une captivité affreuse. Lié par le milieu du corps à une chaîne, dont l’autre bout allait rejoindre un anneau de fer scellé dans un pilier, il resta ainsi six ans, n’ayant de liberté que la longueur de cette chaîne, ne pouvant se coucher que là où elle lui permettait de s’étendre, tournant toujours comme une bête fauve à l’entour de son pilier, creusant le pavé avec sa marche forcément régulière, rongé par cette pensée que sa captivité ne servait peut-être en rien à l’affranchissement de son pays, et que Genève et lui étaient voués à des fers éternels. Comment, dans cette longue nuit, que nul jour ne venait interrompre, dont le silence n’était troublé que par le bruit des flots du lac battant les murs du cachot, comment, ô mon Dieu ! la pensée n’a-t-elle pas tué la matière, ou la matière la pensée ? Comment, un matin, le geôlier ne trouva-t-il pas son prisonnier mort ou fou, quand une seule idée, une idée éternelle devait lui briser le cœur et lui dessécher le cerveau ? Et pendant ce temps, pendant six ans, pendant cette éternité, pas un cri, pas une plainte, dirent ses geôliers, excepté sans doute quand le ciel déchaînait l’orage, quand la tempête soulevait les flots, quand la pluie et le vent fouettaient les murs ; car alors sa voix se perdait dans la grande voix de la nature ; car alors, vous seul, ô mon Dieu ! vous pouviez distinguer ses cris et ses sanglots ; et ses geôliers qui n’avaient pas joui de son désespoir, le retrouvaient le lendemain calme et résigné, car la tempête alors s’était calmée dans son cœur, comme dans la nature. Oh ! sans cela, sans cela, ne se serait-il pas brisé la tête à son pilier, ne se serait-il pas étranglé avec sa chaîne, aurait-il attendu le jour où l’on entra en tumulte dans sa prison, et où cent voix lui dirent à la fois :

— Bonnivard, tu es libre !

— Et Genève ?

— Libre aussi !!

Depuis lors, la prison du martyr est devenue un temple, et son