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pées ; une place était vacante à l’une d’elles, je m’en emparai, en appelant le garçon.

Mon appel resta sans réponse. Je pris alors ma voix du plus creux de ma poitrine, et je renouvelai mon interpellation, qui n’eut pas plus d’effet que la première fois.

— Fous chêtes arrivé à Aix, il y avre peu de temps, me dit avec un accent allemand très prononcé un de mes voisins, qui avalait de la bierre, et qui rendait de la fumée.

— Ce soir, monsieur.

Il fit un signe, comme pour me dire : Je comprends alors, et tournant la tête du côté de la porte du café, il ne prononça que cette seule parole, Chacotot.

— Voilà, voilà, monsieur, — répondit une voix.

Jacotot parut à l’instant même ; ce n’était pas autre chose que le garçon limonadier.

Il s’arrêta en face de nous ; le sourire était stéréotypé sur cette bonne grosse figure stupide, qu’il faut avoir vue pour s’en faire une idée. Pendant que je lui demandais une groseille, vingt cris partirent à la fois.

— Jacotot, un cigarre !

— Jacotot, le journal !

— Jacotot, du feu !

Jacotot, au fur et à mesure que chaque chose lui était demandée, la tirait à l’instant même de son gousset : je crus un instant qu’il possédait la bourse enchantée de Fortunatus.

Au même moment une dernière voix partit d’une allée sombre attenant au café.

— Jacotot, vingt louis !

Jacotot porta sa main en abat-jour au-dessus de ses yeux, regarda quel était celui qui lui adressait cette dernière demande, et l’ayant probablement reconnu pour solvable, fouilla au gousset merveilleux, en tira une poignée d’or qu’il lui donna, sans rien ajouter à son refrain habituel : Voilà, voilà, monsieur ! et disparut pour aller chercher ma groseille.

— Tu perds donc, Paul ? dit un jeune homme qui était à une table à côté de la mienne.

— Trois mille francs…