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REVUE. — CHRONIQUE.

pour rentrer en France plus pauvres qu’ils n’en étaient sortis. À Sainte-Marie de Madagascar, nous avons encore fait mieux. Maîtres d’un misérable rocher de cinq ou six lieues de tour, nous avons entrepris une guerre absurde contre un peuple belliqueux, défendu par son courage et par le climat du pays ; guerre dans laquelle nous avons honteusement échoué, et été obligés de mettre le feu nous-mêmes à notre établissement de Tintingue ; guerre qui a coûté la vie à quelques milliers de Malgaches du littoral, que nous avons littéralement laissé mourir de faim, après leur avoir promis aide et protection, et les avoir engagés par là à se déclarer en notre faveur. Incessamment peut-être nous aurons occasion de revenir sur ce dernier exploit, en rendant compte d’un livre qui vient de paraître sur ce sujet, livre dont l’auteur n’a pu tout dire, et que nous serons à même de compléter.

De ce qui précède, on peut déduire assez clairement le sort qui attendrait notre conquête d’Alger, si nos ministres, se décidant à changer en occupation définitive ce qu’ils appellent aujourd’hui notre séjour, n’y établissaient pas en même temps une administration autre que celle dont nous voulons parler. Cette question, au reste, est prématurée, puisqu’on n’a pu arracher au ministère l’assurance officielle qu’Alger resterait à la France, et qu’il le défendrait envers et contre tous. Plus tard, nous pourrons développer notre pensée entière ailleurs que dans une étroite chronique où nous ne la déposons qu’en passant, et seulement pour faire pressentir sous quel point de vue nous envisageons notre future colonie. Moins que personne, nous nions les immenses avantages qu’en retireront le pays et la civilisation en général ; nous voulons seulement que le soin de les réaliser ne soit pas confié à des mains impuissantes.

Nous ne sommes pas les seuls qui ayons à nous plaindre de la réserve diplomatique employée au sujet d’Alger. Les explications données par le ministère anglais à lord Aberdeen sont à peu près aussi vagues que celles que nous avons reçues. Lord Aberdeen trouve que notre occupation blesserait grandement les intérêts de l’Angleterre ; à cette occasion, un journal de ce pays a bien voulu nous apprendre quels sont, dans la Méditerranée, ces intérêts aux yeux de certains commercans anglais. Ces messieurs, avec ces sentimens de philanthropie qu’on leur connaît, regrettent le temps où les pirates d’Alger pillaient les navires des nations du continent, parce qu’en même temps les leurs étaient respectés, protégés qu’ils étaient par le souvenir de l’expédition de lord Exmouth ; d’où il résultait nécessairement pour eux une diminution de concurrence. Il est fâcheux, en effet, que nous ayons détruit des pirates si utiles au commerce anglais ; mais qu’y faire ?