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SALON DE 1833.

accident particulier qui échappe à toute description est un des plus grands charmes qui se puissent imaginer ; je sais bien que les yeux clairs et nets sont dépourvus de puissance. Oui ; mais ce charme lui-même est renfermé dans certaines limites. Il faut que l’œil soit humide, mais il faut aussi que la prunelle soit distincte et accentuée. Autrement l’œil est égaré et ne peut plus voir. C’est ce qu’on peut observer en présence d’une lumière abondante et diffuse. Les mains méritent un reproche pareil. L’effacement des phalanges est sans doute une qualité très digne d’estime. La sculpture du seizième siècle, et les mains d’Henriette de France sont là pour témoigner. Mais quand on déguise la réalité, il faut la faire deviner en exagérant un principe supérieur à la réalité, et capable de suppléer par le mouvement et l’animation à l’exactitude littérale des lignes et des plans. Ne copiez pas les saillies articulaires, mais allongez les phalanges que vous effacez, assouplissez les doigts que vous ne voulez pas traduire mesquinement. Dans le portrait que j’ai sous les yeux, les doigts sont mous, mais non pas souples ; ils sont arrondis, mais non pas élégans.

Je préfère de beaucoup à cette toile une tête de jeune fille, le portrait de mademoiselle de R…, que le public n’a pas remarqué, et qui, pour la solidité du modelé, la richesse de la pâte, et l’éclat de la couleur, se place à côté des meilleurs maîtres.

Si j’ai bonne mémoire, en 1831, dans les derniers jours du salon, M. Champmartin avait envoyé une tête d’enfant, comparable, comme celle-ci, aux chefs-d’œuvre de Lawrence. Pourquoi dépense-t-il donc la meilleure partie de son talent dans ses moindres ouvrages ?

N’est-ce pas que, n’ayant à peindre qu’une tête, il éprouve le besoin de lui donner toute l’importance et toute la valeur qu’elle mérite, ne se dissimule aucune des difficultés du sujet, et retrouve pour lutter avec la nature, toutes les hardiesses et toutes les franchises qu’il avait en 1824 et en 1827 ; qu’il est peintre à son aise et ne se préoccupe d’aucune coquetterie, d’aucune ruse étrangère à son art, tandis que sur une toile plus étendue, ayant à plaire par mille endroits, à satisfaire des exigences supérieures et fantasques, involontairement il se laisse aller à l’escamotage, au subterfuge, au charlatanisme. Il n’ignore pas, je m’assure, ce que valent ces faux semblans de grâce et de nature. Il se fait à lui-même des repro-