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PHILIPPE DE MORVEL.

ques détails antérieurs serviront à la faire mieux connaître, et à donner une idée du caractère de son oncle, M. Auberti.

Pierre et Joseph Aubert, tous deux fils d’un Génevois riche et considéré, avaient été, durant leur premier âge, camarades et amis du jeune Necker ; ils firent avec lui leurs études à l’académie de Genève ; et reçurent du même pasteur l’instruction religieuse pour la première communion, circonstance qui ne s’oublie guère dans la vie d’un protestant. L’aîné des deux Aubert quitta Genève après la mort de son père, et alla s’établir à Berne, où il se maria, et fonda une maison de commerce, qui, en peu de temps, devint florissante ; sa fortune lui permit d’acquérir, dans le canton, des propriétés dont la plus considérable était la terre de Risthal, située à quelques lieues de Berne, sur les bords de l’Aar. Quant à Joseph, il ne jugea pas à propos d’émigrer ni de se marier ; ses relations avec M. Necker ne cessèrent point, même après le départ de celui-ci pour Paris, où l’appelait la maison Thélusson, à la tête de laquelle il fut placé. Convaincu de la haute capacité de son ami pour les affaires, Joseph Aubert engagea ses capitaux dans les opérations de cette maison, et eut part aux immenses profits qu’elle retirait de ses entreprises. Rien ne paraissait manquer au bonheur du capitaliste Génevois. Sa fortune s’accroissait rapidement ; sa vie était tranquille, et son caractère honoré. Des manières agréables et la sûreté de son commerce le faisaient rechercher avec empressement ; il était admis, sans la moindre contestation, dans les sociétés de la haute ville, espèce de monde supérieur vers lequel un riche bourgeois de Genève aspirait toujours, mais où il n’y avait place que pour un petit nombre d’élus. Cependant, Joseph Aubert ne se trouvait pas entièrement heureux ; un reste d’ambition le tourmentait. Quoiqu’au niveau de la plus ancienne bourgeoisie, il voyait encore de la distance entre lui et ceux de ses concitoyens dont les noms à physionomie italienne indiquaient d’une façon plus ou moins problématique leur descendance de nobles familles émigrées de par-delà les monts ; c’était un souci de toutes les heures. Il le couva long-temps sans en rien laisser paraître ; mais un jour, au milieu d’une conversation, où un savant professeur d’histoire détaillait tous les anciens priviléges de la ville impériale de Genève,