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ladies, aujourd’hui constatées et connues, hier encore n’existaient pas.

Ainsi donc le champ des douleurs observées et poétisées s’aggrandit chaque jour, et demain en saura plus qu’aujourd’hui. Le mal de Werther, celui de René, celui d’Obermann, ne sont pas les seuls que la civilisation avancée nous ait apportés, et le livre où Dieu a inscrit le compte de ces fléaux n’est peut-être encore ouvert qu’à la première page. Il en est un qu’on ne nous a pas encore officiellement signalé, quoique beaucoup d’entre nous en aient été frappés ; c’est la souffrance de la volonté dépourvue de puissance. C’est un autre supplice que celui de Werther, se brisant contre la société qui proscrit sa passion ; c’est une autre inquiétude que celle de René, trop puissant pour vouloir ; c’est une autre agonie que celle d’Obermann, attéré de son impuissance ; c’est la souffrance énergique, colère, impie, de l’âme qui veut réaliser une destinée, et devant qui toute destinée s’enfuit comme un rêve ; c’est l’indignation de la force qui voudrait tout saisir, tout posséder, et à qui tout échappe, même la volonté, au travers de fatigues vaines et d’efforts inutiles. C’est l’épuisement et la contrition de la passion désappointée ; c’est en un mot le mal de ceux qui ont vécu.

René et Obermann sont jeunes. L’un n’a pas encore employé sa puissance, l’autre n’essaiera pas de l’employer ; mais tous deux vivent dans l’attente et l’ignorance d’un avenir qui se réalisera dans un sens quelconque. Comme le bourgeon exposé au vent impétueux des jours, au souffle glacé des nuits, René résistera aux influences mortelles et produira de beaux fruits. Obermann languira comme une fleur délicate qui exhale de plus suaves parfums en pâlissant à l’ombre. Mais il est des plantes à la fois trop vigoureuses pour céder aux vains efforts des tempêtes, et trop avides de soleil pour fructifier sous un ciel rigoureux. Fatiguées, mais non brisées, elles enfoncent encore leurs racines dans le roc, elles élèvent encore leurs calices desséchés et flétris pour aspirer la rosée du ciel ; mais, courbées par les vents contraires, elles retombent et rampent sans pouvoir vivre ni mourir, et le pied qui les foule, ignore la lutte immense qu’elles ont soutenue avant de plier.

Les âmes atteintes de cette douloureuse colère peuvent avoir