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Obermann.

peut-être dans la nature d’une pareille donnée de ne pouvoir se poétiser sous la forme d’une action progressive ; car, puisque Obermann nie perpétuellement non-seulement la valeur des actions et des idées, mais la valeur même des désirs, comment concevrait-on qu’il pût se mettre à commencer quelque chose ?

Cette incurie mélancolique, qui encadre de lignes infranchissables la destinée d’Obermann, offrait un type trop exceptionnel pour être apprécié lors de son apparition en 1804. À cette époque la grande mystification du consulat venait enfin de se dénouer. Mais, préparée depuis 1799 avec une habileté surhumaine, révélée avec pompe au milieu du bruit des armes, des fanfares de la victoire et des enivrantes fumées du triomphe, elle n’avait soulevé que des indignations impuissantes, rencontré que des résistances muettes et isolées. Les préoccupations de la guerre et les rêves de la gloire absorbaient tous les esprits. Le sentiment de l’énergie extérieure se développait le premier dans la jeunesse ; le besoin d’activité virile et martiale bouillonnait dans tous les cœurs. Obermann, étranger par caractère chez toutes les nations, devait, en France plus qu’ailleurs, se trouver isolé dans sa vie de contemplation et d’oisiveté. Peu soucieux de connaître et de comprendre les hommes de son temps, il n’en fut ni connu ni compris, et traversa la foule, perdu dans le mouvement et le bruit de cette cohue dont il ne daigna pas même regarder l’agitation tumultueuse. Lorsque la chute de l’empire introduisit en France la discussion parlementaire, la discussion devint réellement la monarchie constitutionnelle, comme l’empereur avait été l’empire à lui tout seul. En même temps que les institutions et les coutumes, la littérature anglaise passa le détroit, et vint régner chez nous. La poésie britannique nous révéla le doute incarné sous la figure de Byron ; puis la littérature allemande, quoique plus mystique, nous conduisit au même résultat par un sentiment de rêverie plus profond. Ces causes, et d’autres, transformèrent rapidement l’esprit de notre nation, et pour caractère principal lui infligèrent le doute. Or le doute, c’est Obermann, et Obermann, né trop tôt de trente années, est réellement la traduction de l’esprit général en 1833.

Pourtant, dès le temps de sa publication, Obermann excita des