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corde et de charité. Du reste, il n’a contesté aucun des droits établis ; il n’a opéré immédiatement aucune modification essentielle dans la société.

Mais il a fait bien plus en déplaçant complètement le principe et le but des actions humaines, en leur donnant un mobile jusqu’alors inconnu. Il a fondé des mœurs nouvelles, et ces mœurs, en se développant, ont amené une révolution complète dans les rapports qui existaient entre les hommes.

C’est la grandeur du christianisme de ne heurter de front aucune forme sociale, de s’accommoder de toutes, de survivre à toutes. Et certes, ce n’est pas à dire qu’il soit sans action sur la société. — Mais c’est que le génie de l’humanité qui l’inspire, l’avertit que toute action de ce genre n’est durable et profonde que si elle passe par les mœurs pour arriver aux lois.

Vouliez-vous que le christianisme liât sa cause avec cette législation que la barbarie allait renverser, avec cette société qui allait disparaître ? Il avait mieux à faire : il laissait le présent se précipiter vers sa ruine ; mais il avait conquis l’avenir. Les lois romaines pouvaient être enfouies dans la poussière et les ténèbres ; la morale du Nazaréen avait déposé au fond des âmes le germe d’où la société moderne devait sortir. Quelques nations barbares avaient bien adopté en partie le droit romain ; mais la loi que le christianisme annonçait, devait être un jour le code moral de l’Europe civilisée.


J.-J. Ampère.