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LES LOIS ET LES MŒURS.

Chose remarquable, l’infâme empereur osa porter des lois contre le désordre des mœurs ! Son impudeur ne fut jamais plus effrontée.

Un fait bien remarquable, c’est le développement que le droit romain prit et conserva sous l’empire. Ici commence une série de grands jurisconsultes, à peine interrompue, qui dure jusqu’à Justinien. La jurisprudence, qui était libre et privée, acquiert une autorité publique et officielle, depuis que les empereurs ont appelé les jurisconsultes à la confection des lois, et ont ordonné qu’on se soumît à leurs décisions. Un grand nombre d’empereurs, en s’appliquant à faire fleurir la science du droit, travaillent avec plus ou moins de zèle et de fruit à modifier la législation romaine. Tels furent le faible et savant Claude, le prudent Vespasien, Nerva, Trajan, Adrien, Pertinax, Septime-Sévère, et bien d’autres.

Même sous les mauvais empereurs, sous Néron, sous Domitien, on est surpris de voir naître de bonnes lois. La tradition législative, que de savans hommes se passent de main en main, se perpétue à travers les violences et les bouleversemens ; et ainsi demeure, au sein d’un empire corrompu et déchiré, un principe d’ordre, de régularité, de civilisation. Que serait devenu le monde romain, tombant de tyrannie en tyrannie, livré successivement à tous les genres de despotisme, s’il n’eût eu dans son sein un dépôt de sagesse et de raison, un système de justice et de philosophie sociale ?

Mais malheureusement, à mesure que la science des lois est plus cultivée, l’observation des lois devient plus étrangère aux mœurs. Cette science, que complique toujours davantage une curieuse subtilité, cette science est un objet d’érudition et de dialectique, plutôt que d’utilité et d’application. C’est dans cette période que l’enseignement oral du droit romain fut séparé de la pratique[1]. C’est alors que des sectes s’élevèrent parmi les juristes comme parmi les philosophes, et se livrèrent à une polémique, quelquefois ingénieuse, mais presque toujours stérile. Ainsi le droit, qui contenait les seules garanties de la société romaine, se trouva trop isolé de cette société. Il y eut alors comme deux mondes : celui de la législation, régulier, savant, philosophique ; celui des mœurs, désordonné, violent, corrompu. En un mot, tandis que les lois se perfectionnaient par la science, les mœurs manquaient aux lois.

Mais le droit romain n’en restera pas moins comme un monument admirable. Avant de quitter cette imposante législation romaine, signalons rapidement quelle influence eurent sur elle d’abord les mœurs de l’empire, puis celles du christianisme.

  1. Hugo, t. ii, p. 103.