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LES LOIS ET LES MŒURS.

toujours celle de l’élément aristocratique et de l’élément démocratique aux prises dans la constitution romaine, ou plutôt des élémens étrangers qui avaient remplacé ceux-ci et qui en usurpaient le nom ; au temps de ces dissensions furieuses, la législation fut comme la guerre civile : les lois se proscrivirent comme les factions. Sylla, qui voulait faire une aristocratie avec des débris, et qui, jugeant son œuvre impossible, abdiqua le pouvoir à l’étonnement du monde ; Sylla est tout entier avec son plan vaste et impraticable, son génie sombre et sanglant, dans la série des lois auxquelles il a attaché son redoutable nom[1]. Son début est terrible : que nul ne secoure un proscrit ; il est permis à tous de le tuer ; ses biens seront vendus au profit du trésor public ; ses enfans seront frappés d’infamie[2]. Puis, Sylla (ce qui peut surprendre) se montre aussi sévère pour le crime que pour la vertu : il interdit l’eau et le feu aux sicaires, aux parricides, aux empoisonneurs, aux infâmes[3], à ceux qui falsifient les testamens et les monnaies[4]. C’est que Sylla suivait une idée ; à travers ses égorgemens, il voulait régénérer les mœurs par la terreur. Il fut le Robespierre de l’aristocratie. Sa tendance politique se fait sentir dans chacune de ses lois. Il arrache aux tribuns la puissance législative, et leur interdit de revêtir d’autre dignité que la leur. Il abroge la loi Domitia, qui avait transporté au peuple le droit d’élire le pontife.

Mais, aussitôt après lui, s’opère une réaction démocratique : les tribuns sont remis en possession de leurs pouvoirs[5] ; la loi Domitia est rétablie. Ainsi la législation est aussi un champ de bataille, où triomphe tour à tour la fortune des partis.

Les lois de ces temps montrent à quel point en était venue la perversité des mœurs, par les précautions qu’elles prennent contre elle. Ce fut sans doute la fréquence toujours plus grande des assassinats domestiques qui fit étendre la peine du parricide au meurtre des autres parens[6].

Les lois ne pouvaient améliorer les mœurs ; les mœurs ne pouvaient soutenir les lois. Tout allait s’abîmer dans une révolution devenue inévitable. Cependant chacun s’efforçait encore de conserver les lois, et même de ressusciter les mœurs anéanties. L’un était aussi impossible que l’autre. Tandis que Brutus et ses amis rêvaient la république, la république

  1. Leges Corneliæ, 673.
  2. Cic. In Verrem, i. 47.
  3. L. Corneliæ, 673.
  4. Idem.
  5. L. Aurwlia, 679-684.
  6. Loi Pompeia, 699.