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LES LOIS ET LES MŒURS.

tion. Mais cela leur fut encore enlevé. Le premier plébéien qui fut investi de la dignité de pontife, Tiberius Coruncanus, dépouilla la politique sacerdotale de ses derniers voiles. Depuis ce temps, la loi fut accessible à tous ; dès-lors, elle perdit son caractère religieux, pour prendre une physionomie populaire, et tout fut changé dans la constitution romaine. Deux magistrats avaient été institués dans cette première période, dont le rapport avec l’état des mœurs est assez étroit pour m’interdire de les passer sous silence.

Toute société solide est basée sur le maintien du droit établi, sur le respect de la chose jugée, sur l’autorité de la coutume ; il en est ainsi en Angleterre, il en était de même à Rome. Cependant, à côté de cette fixité de la loi fondamentale, il avait fallu faire la part de l’élément mobile, qu’on ne saurait bannir d’aucune législation. C’est à quoi servit l’édit prétorien. Chaque année, un nouveau préteur apportait par des mesures de détails les modifications nécessaires au droit existant ; il concédait aux mœurs ce qu’on n’eût pu leur refuser sans péril. Mais quelle prudence délicate, on pourrait dire quelle timidité respectable, présidait à ces concessions nécessaires ! On évitait avec un soin superstitieux de toucher au texte immuable ; on imaginait les fictions les plus étranges pour accommoder aux mœurs nouvelles les anciennes lois ; on permettait, dit Gibbon[1], que le désir secret ou probable du défunt prévalût sur l’ordre de la succession et les formalités du testament… Pour la réparation des torts privés, des compensations et des amendes étaient substituées à la rigueur tombée en désuétude des douze tables. Le temps et l’espace étaient annulés par des suppositions imaginaires ; l’allégation de jeunesse, de fraude, de violence, mettait au néant l’obligation d’un contrat inconvenant, ou dispensait de son accomplissement. Gibbon blâme avec raison les abus de cette méthode, devant lesquels n’a cependant pas reculé la sagesse politique de son pays.

Si le devoir du préteur était de concilier les mœurs avec les lois, celui du censeur était de conserver les lois par les mœurs. Le censeur disposait arbitrairement du rang des citoyens ; il prononçait sur eux l’ignominie ; il punissait ce que les tribunaux ne peuvent atteindre, le désordre, la lâcheté, la corruption. Il était le magistrat des mœurs ; sa dignité était, au dire de Plutarque[2], la plus élevée de toutes. Dans ce respect de la censure est le génie de Rome pure et libre. Plus tard, quand elle fut corrompue, la censure gêna ses débordemens, et un tribun du peuple,

  1. Décline and fall. t. viii, p. 15, chap. 44.
  2. Vie de Caton l’Ancien.