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coles, et je vois que les douze tables ont prévu avec détail et punissent avec sévérité divers dommages qu’on peut causer à l’agriculture. « Celui qui a tué un agneau sera lié et battu de verges. Celui qui a coupé de nuit la moisson que la charrue a produite sera dévoué à Cérès[1] et pendu. Quant à la guerre, est-elle pacifique cette législation qui ne connaît qu’une expression pour désigner un étranger et un ennemi ? Ainsi dans la loi des décemvirs les mœurs de Rome naissante n’ont rien perdu de leur barbarie. Pour un membre rompu, elle établit la peine du talion. Elle donne le droit au plaignant de traîner en tout temps son adversaire devant le tribunal ; s’il est vieux et malade, elle permet qu’on lui accorde une monture, elle ordonne qu’on lui refuse une litière. Rédigée par des patriciens, elle est impitoyable pour les malheureux débiteurs et contient cette ligne terrible que, malgré d’officieuses interprétations, les historiens les plus récens se sont vus contraints d’entendre à la lettre avec l’antiquité, et qui autorise les créanciers à couper en morceaux le débiteur insolvable[2].

Cependant cette législation que dictait l’esprit du passé contenait des germes d’avenir ; elle interdisait bien encore le connubium entre les plébéiens et les patriciens, mais du reste elle n’établissait aucune différence entre eux pour les droits civils. Cela indiquait un notable changement dans les mœurs et en préparait un plus grand encore.

Si la loi des douze tables a été, comme le dit Tite-Live, la source du droit romain, si elle a été placée par Cicéron, qui lui rend le même témoignage, au-dessus de tous les livres des philosophes ; si, enfin, plusieurs de ses dispositions ont servi de base à la jurisprudence de la république et subsisté jusque dans le recueil des empereurs chrétiens, elle le doit précisément à ce qu’elle avait sa racine dans les mœurs romaines, car c’est là ce qui fait la force d’une législation, parce que c’est de là que lui viennent la sève et la vie.

C’est à la loi des douze tables que commence, à proprement parler, l’histoire si vaste du droit romain ; car le peuple romain est le premier chez lequel le droit ait formé une science dont on pût écrire l’histoire, et ceci tient à ce que ce peuple eut, depuis son origine jusqu’à sa fin, un profond sentiment et un profond respect du droit. Cette idée fut pour lui une grande force. Souvent plébéiens et patriciens en firent un très mauvais emploi, et voulurent placer le droit là où il n’était pas ; mais, en s’égarant, c’est lui qu’ils invoquaient. Même quand ils employaient la vio-

  1. Qui frugem aratro quesitam furtim non pavit secuitve suspensus, Cereri esto.
  2. Voy. Hugo : Histoire du droit romain, et Niebuhr.