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de souffrances et de mortifications, déjà presque cadavres, ils ne se traînent bientôt plus que d’un pied chancelant sur le bord de la tombe qu’ils ont creusée de leurs propres mains. Mais dans ces corps amaigris, consumés par la pénitence, et, si j’ose m’exprimer ainsi, à travers l’usure, à travers les mille fissures de cette enveloppe périssable, qui tout-à-l’heure va tomber, la créature immortelle ne se montre-t-elle pas à nous toute radieuse, toute brillante, toute rayonnante déjà de je ne sais quel céleste éclat ?

En ce moment, un rayon de la lune, perçant le sombre rideau dont le ciel était couvert, tomba d’aplomb sur la chapelle, qu’un des nombreux caprices du chemin que je suivais me mettait à même d’entrevoir de nouveau. La lumière l’enveloppa d’un voile brillant ; elle illumina une partie du cimetière, puis s’alla déployer sur les flots doucement agités, en une large nappe d’argent. Les pierres qui couvraient quelques tombes, les simples monticules de terre qui s’élevaient sur le plus grand nombre, les petites croix peintes en noir qui les ornaient toutes, me les rendaient parfaitement visibles, éclairées qu’elles étaient d’ailleurs par cette lueur subite. Les légères ondulations dont l’inégale élévation des tombeaux semait le terrein, lui donnaient quelque chose de l’apparence d’une mer saisie tout à coup par un vent du nord qui l’aurait subitement transformée en une glace immobile, au moment même où ses vagues se seraient le plus fortement soulevées. Peut-être était-ce aussi au milieu de tous les troubles du cœur, de toutes les agitations de la pensée, en un mot de tous les soulèvemens de la vie, que le vent de la mort avait soufflé sur ceux qui gisaient en ce lieu. Et maintenant ils habitaient une sphère où ne pouvaient sans doute se propager ni les bruits, ni les mouvemens, ni les agitations de la terre. C’est du moins ce que semblaient témoigner, par leur immobilité, les petites croix de bois s’élevant en tête de chaque tombe, comme les mâts d’autant de nacelles arrêtées dans leur rapide sillage, tandis que ceux qui les montaient, avaient été engloutis, submergés dans ces vagues gonflées par le souffle de la mort ; mer immobile au milieu de laquelle s’élevait l’église gothique avec une paisible majesté.

Aucun de ceux qui reposaient en ce lieu, n’avait été pendant sa vie un inconnu, un étranger, pour cette chapelle, autour de laquelle