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LE CHOLÉRA.

Autour de ces simples églises de villages, sous ces misérables toits de chaume, on voyait ainsi de nobles croyances se montrer encore aussi fortes, aussi naïves, aussi primitives, que nous les admirons dans les premiers siècles de l’histoire. Cela formait de merveilleuses harmonies avec les ruines du moyen âge dont on était entouré, avec les restes des pierres druidiques qu’on apercevait parfois dans le lointain.

Au milieu de ces scènes de désolation, certaines figures s’étaient montrées constamment pures, constamment admirables, constamment sublimes ! c’étaient les sœurs de la charité. Saint Vincent de Paule semblait revivre en chacune d’elles. Dans les lieux dévastés par le fléau, on les rencontrait long-temps avant le jour, s’acheminant déjà vers ceux qui, la veille, étaient menacés du danger le plus imminent ; chacune d’elles allait redevenir pour l’un d’eux une sœur, une amie, un guide spirituel, une garde-malade. À travers les longues salles des hôpitaux, vous n’eussiez pu trouver un seul lit où elles ne s’arrêtassent pour donner des soins ou des consolations ; les enseignemens les plus élevés se trouvaient naïvement dans leurs bouches, en même temps que leurs mains étaient infatigables aux soins les plus rebutans. Une ville entière n’avait pas de réduit assez obscur, d’asile assez ignoré pour échapper à leurs avides recherches. Où le danger était le plus terrible, où les morts s’amoncelaient en plus grand nombre, c’était là que, pendant la journée entière, on était certain de les rencontrer, le visage rayonnant d’une inaltérable, d’une angélique sérénité. On eût dit que nos angoisses de la terre ne pouvaient les atteindre sur le calvaire élevé où la foi les faisait vivre, tandis qu’il leur était donné d’en descendre elles-mêmes sur les ailes d’une infatigable charité, pour nous en venir soulager ; ou bien on eût dit encore qu’en-dehors pour quelques instans de ces lieux terribles où habitent le jeûne, la prière, la veille, les mortifications de tous genres ; qu’en-dehors de ces sortes de Lacédémones chrétiennes que l’esprit de pénitence leur bâtit au milieu de nos cités, elles aussi, de même que les guerriers de Lycurgue, se trouvaient plus à l’aise sur ces champs de bataille, où elles apparaissaient tout à coup, qu’au milieu de leurs redoutables austérités, qu’au sein de leur vie de tous les jours. La nuit les avait depuis long-temps surprises dans leurs périlleux travaux qu’elles n’a-