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FRAGMENS DE VOYAGE.

tresse, demeure à Naples avec ses enfans. — Francesco ne tarit pas. — Nous voici devant le vieux palais des Foscari : Venise disparaît comme une plante marine sous les vagues d’où elle était sortie. — Grand canal, no 54, palais de la famille Mocenigo ! — Habitation délabrée et sans architecture ; style moderne. — Au rez-de-chaussée un large corridor où étaient l’ours, le singe, toute la ménagerie. — La chambre à coucher d’hiver donnant sur une cour fort triste, elle est aujourd’hui occupée par la comtesse. — Autre chambre d’été ayant vue sur le canal. — Le portrait de Byron nulle part. — Il travaillait dans ce sombre et immense salon où sont peints tous les Mocenigo. — Un grand fauteuil devant une table de forme ancienne et percée d’une infinité de tiroirs ; là furent écrits et enfermés Marino, les Foscari, Beppo, etc.…

Vous me passerez ces détails extraits, pour plus de brièveté, de mon Livre de notes, comme vous me permettrez d’y copier cette lettre, qui m’expliquera par la suite ce que je n’ai pu qu’indiquer sur mon Journal. Parfois j’ai cette crainte, que ma mémoire s’en allant tout à coup, il ne me reste rien d’un pays que j’aime tant, et que peut-être je ne dois plus voir ; aussi, contre mes habitudes, j’amasse notes sur notes, et je prie ceux à qui j’écris de me garder mes lettres.

Comme j’examinais l’antique salon, entre un homme d’une cinquantaine d’années, bronzé, fort, d’une figure ouverte, aux grands yeux, aux grands traits : c’était un des gondoliers de lord Byron. Il s’appelle Vincenzo Falsiero ; son fils, Giovanni Baptista, vient de partir pour l’Asie avec un Anglais, M. Kling, je crois. — « Oui, monsieur, c’est ici qu’il travaillait à ses compositions ; il y restait toute la nuit ; rarement milord se couchait avant le jour. À tout moment il appelait mon fils : Giovanni, portez-moi le singe !… Giovanni, amenez-moi l’ours !… C’était un brave patron ! » — Le gondolier m’emmena chez lui. Dans une boîte, et soigneusement enveloppée, il conserve cette fameuse toque de velours rouge et ouatée, la seule coiffure, vous vous en souvenez, qui ne blessât point le front d’Harold. — J’en ai refusé quinze sequins ! s’écria Falsiero. — Mais voici son casque de cuir noir, et dessus ses armes en argent. — C’est lui-même qui l’a donné, en Grèce, à mon fils ; et à moi la toque rouge, lorsqu’il est parti… Nous gardons ça. Voici encore