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LE CHOLÉRA.

multipliaient autour de moi de mille façons, parés en même temps de je ne sais quelle auréole brillante dont les ornait la consécration de la mort. Je me laissais aller à leur adresser longuement la parole ; puis j’entendais leurs paroles à eux résonner aussitôt dans ces mêmes mystérieux échos où nous nous disons à nous-mêmes notre propre pensée.

Le sentiment de la réalité allait ainsi s’effaçant de plus en plus de mon esprit. La réalité elle-même semblait se retirer de toutes parts d’autour de moi pour faire place à ces douces et fantastiques réminiscences du cœur et de la mémoire, lorsqu’un spectacle inattendu se présenta, qui captiva bientôt toute mon attention.

La rive opposée, bouleversée d’accidens de terrein assez considérables, présentait grand nombre de collines de hauteur, de dimension, de forme et de culture différentes, laissant voir çà et là quelques groupes de gigantesques rochers. Au bas de l’une d’elles couverte d’un grand bois de haute futaie, s’élevait, du milieu d’une sorte d’îlot de terre rougeâtre, une petite église entourée d’un cimetière aux murailles blanches, dont l’une avait le pied baigné par la marée montante. La couleur noirâtre de cette église contrastait assez bien avec le fond de verdure, sur laquelle on la voyait se dessiner ; les élégantes dentelures de son clocher gothique se mariaient admirablement avec le feuillage festonné des grands arbres, et en général le pinceau le plus exercé n’aurait pu mieux disposer tous les objets que je voyais là, les mieux entourer et les mieux éclairer, pour en créer un paysage plus habilement composé.

Or, au moment même où j’arrivai en face de l’église, son grand portail, vis-à-vis lequel je me trouvais, s’ouvrit tout à coup ; il brilla comme une étoile au sein de l’obscurité de son intérieur, puis une grande croix d’argent sortit suivie d’un vieux prêtre précédant de peu de pas un cercueil entouré de jeunes filles dont chacune portait un cierge allumé. Leurs vêtemens blancs m’annonçaient que c’était une de leurs compagnes qu’elles conduisaient à sa dernière demeure. Derrière venait un assez grand nombre de parens, d’amis, de voisins, en habits de deuil. Une fosse attendait tout ouverte l’hôte qu’on y descendit, en même temps que le prêtre se mit à psalmodier les prières d’usage, auxquelles les assistans agenouillés répondirent en chœur. Leurs voix, mêlées au tintement