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LE CHOLÉRA.

La rivière, s’échappant du fond d’une vallée où l’œil ne pouvait la suivre, arrivait avec de nombreux détours jusqu’à l’endroit où je m’étais résolu à la côtoyer ; de ce point elle s’élargissait de plus en plus, puis allait se perdre enfin, après grand nombre de sinuosités nouvelles, au sein d’une vaste rade, au-delà de laquelle apparaissait la pleine mer, qu’on voyait se confondre avec le ciel aux dernières limites de l’horizon.

Derrière moi, c’est-à-dire du côté de la mer, car j’allais en sens inverse du cours de l’eau, plusieurs vaisseaux manœuvraient aux derniers rayons du soleil qui se jouaient dans leurs cordages et sur leurs voiles ; les uns voulaient entrer en rade, les autres au contraire gagner le large. Devant moi, les ruines qui étaient le but de ma promenade, s’élevaient sombres, tristes, solitaires, au sommet d’une assez haute colline, et se projetaient en découpures étranges, en contours fantastiques, sur un ciel terne et grisâtre.

À mes côtés se succédaient des chênes séculaires, des pins au sombre feuillage, des saules à la chevelure pendante. De grands quartiers de rochers, long-temps cachés par les sinuosités de la rivière, se montraient tout à coup comme s’ils fussent surgis de terre à l’instant même. Sur le penchant des coteaux apparaissaient çà et là de ces champs de blé noir, dont la couleur rouge foncée qui se détache vivement de la verdure, et les met, pour ainsi dire, en saillie, au milieu de ce qui les entoure, donne une physionomie toute particulière aux paysages de la Bretagne.

De temps à autre quelque goéland, fatigué de se balancer à la surface de l’eau, ou bien effrayé de mon approche, s’élevait lourdement dans les airs, et déployant ses larges ailes, traversait l’atmosphère d’un vol pesant et silencieux.

Sans avoir beaucoup perdu de sa transparence, la lumière du jour commençait à perdre de son éclat. Le tronc et le feuillage des arbres devenaient d’un ton de plus en plus foncé. De légères vapeurs enveloppant les objets éloignés, adoucissaient déjà leurs formes et leurs couleurs, sans en rien dérober encore. De nombreux nuages, après avoir flotté dans les airs toute la journée, étaient enfin devenus immobiles, et, se fondant les uns dans les autres, formaient un immense voile grisâtre, qui couvrait, dans toute son étendue, la voûte du ciel ; une main invisible semblait seulement se plaire à