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LETTRES SUR L’INDE.

de moustiques, assez épaisses pour obscurcir l’air, et dont on ne se garantit qu’en risquant de mettre le feu à la maison. Telle est l’existence des malheureux villageois de ce pays pendant la moitié de l’année, pour recueillir un peu de riz pendant l’autre. Ici, comme ailleurs, la nature nous fait payer cher ses bienfaits. Adieu.


3 septembre.


Dans une lettre de Dacca[1], ma chère belle, je t’ai promis de t’apprendre la cause de l’absence du gouverneur : j’y manquerai d’autant moins que je n’ai pas autre chose à dire, et que d’ailleurs cette histoire est du ressort de mon journal. Tu sauras que depuis plusieurs années on s’apercevait de temps à autre de la disparition de plusieurs soldats de la compagnie sur les frontières du Sylhet. Jusqu’à présent on l’avait mise sur le compte des tigres ; mais dernièrement, tandis qu’on déplorait la perte de trois nouvelles victimes, une d’elles arriva au Sylhet après cinq jours d’absence, et raconta que ses deux compagnons avaient été sacrifiés à la déesse Kaly, le Pluton, le Moloch, le génie du mal en un mot chez les bas Asiatiques, le tout pour guérir la belle-sœur du rajah de Gentiapour d’une maladie qui résistait à tout autre remède. Les détails de ce sacrifice sont révoltans : après avoir jeté des fleurs sur les victimes, après les avoir encensées et baignées, leur avoir coupé les cheveux et les ongles, fendu la lèvre jusqu’au menton, enfin après une foule d’absurdités barbares, on leur coupa la gorge au-dessus de l’auguste malade, de manière à faire tomber le sang chaud sur sa tête. Le soldat échappé avait été remis au lendemain, et s’était enfui pendant la nuit, aimant mieux devenir la proie d’un tigre que le sauveur d’une femme aussi atroce. Aussitôt que le marquis d’Hastings eut connaissance de cette affaire, il expédia un ambassadeur audit rajah pour le prévenir qu’il serait pendu sans miséricorde, si son auguste sœur prenait encore médecine de cette façon. Heureusement pour le rajah que ses états ne valaient pas la peine d’être pris, car il ne les eût pas conservés long-temps : comme il n’y

  1. Cette lettre a été omise.