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LETTRES SUR L’INDE.

Aureng-Zeb pour souverain légitime. Un Anglais, nommé Stewart, qui a recueilli quelques faits de ce temps-là, rapporte que l’émir Jemla poursuivit l’armée vaincue jusque dans le royaume d’Assam, où se livra une grande bataille, et c’est à propos de la défaite du jeune Soudja, que Bernier, qui rapporte aussi ce fait, prétend que ce jour-là « le roi n’eut pas du bon ». Il aurait pu ajouter qu’il eut du mauvais, car le malheureux y perdit tous ses sujets et tous ses trésors. Quoi qu’il en soit, les missionnaires portugais qui infestaient déjà l’Inde, profitèrent de l’occasion pour aller prêcher au Sylhet, et ne pouvant venir à bout de convertir ces chiens de musulmans, qui avaient plus de sens que de foi, formèrent un bataillon sacré, nommé, je crois, Banditti, et accompagnèrent l’armée victorieuse, confessant, brûlant, baptisant, massacrant tous les Hindous de la secte de Wishnou, qui ne comprenaient pas ce que c’est que la transsubstantation, la vierge immaculée, et une foule de mystères aussi saints et aussi clairs que ceux-là.

La défaite du roi Soudja et du roi d’Assam, qui mourut peu de temps après, causa une révolution dans les états de ce dernier. Alors vint un usurpateur, comme à l’ordinaire, puis des partis, puis des querelles, puis des massacres, et l’on ne sait ce que serait devenu le malheureux royaume, si les Anglais, entraînés par un sentiment irrésistible de générosité, n’eussent enfin consenti à devenir médiateurs. Ils chassèrent le roi légitime Deb, et prirent pour épices les trésors immenses de sa capitale, nommée Beyrar, au pied des montagnes du Boutan.

Je reviens à Dacca, et je te fais grâce des conquêtes du nouveau gouverneur, nommé Cha-Esther-Kan. Tu sauras seulement que la bonne ville de Dacca fut troublée pendant toute la vie d’Aureng-Zeb, qui dura cent cinq ans, et qu’enfin elle fut prise par un nommé Khossim-Kan, malgré ses canons de vingt-deux pieds de long, et ses boulets de quatre cents livres. Ce calibre étonnera peut-être un ingénieur qui ne connaît que Cohorn et Vauban. Dans ce cas, tu le renverras à l’histoire de l’Hindoustan par un voyageur, M. Dow, qui en a vu, je ne sais où, du poids de sept cents maunds ou environ 56,000 livres.

On a compté jusqu’à 200,000 âmes à Dacca dans le temps de sa prospérité ; mais le dernier recensement, fait en 1801, réduit ce