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LETTRES SUR L’INDE.

passé dans la peau du dos, les plus fidèles serviteurs de Wishnou, qu’on fait tourner ainsi jusqu’à ce qu’ils aient rendu l’âme ; c’est ici enfin qu’on voit de jeunes veuves se brûler sur le corps d’un vieil époux, et j’aurais même pu être témoin de ce révoltant spectacle, si je fusse arrivé deux jours plus tôt. Au-dessus d’Hougly se trouvent les ruines d’une forteresse maure dont la date et l’histoire ne me sont pas connues ; mais ce qui l’est de tout le monde, c’est un petit espace de terrein où l’on fait de la glace en hiver au moyen d’un procédé fort simple. Un peu plus loin se trouve un petit établissement où flotte le pavillon du roi de Portugal ; c’est, je crois, le plus ancien de ceux qui sont au Bengale : il date du second voyage de Vasco de Gama. On y faisait jadis un commerce considérable d’étoffes et d’opium ; aujourd’hui on n’y vend plus que des hosties, des prières et des billets de confession. Le Bandel est devenu une abbaye fort riche où quarante moines aussi ignorans que paresseux et débauchés passent leur vie entière à s’enivrer, à dire des messes et à faire des dupes. C’est de toute l’Inde l’endroit où l’on fait meilleure chère, et le receveur de la douane m’a assuré qu’il se consommait dans cette abbaye autant de viandes, de vins et de liqueurs qu’à Calcutta. Je n’ai pas jugé à propos de m’arrêter dans cet endroit.


Le 27 au soir.


............... Je suis auprès d’une indigoterie qui passe pour la plus productive du Bengale. Elle appartient à un vieux Portugais, qui est aujourd’hui l’homme le plus riche de l’Inde, y compris tous les princes que l’honorable compagnie a ruinés. Ce Portugais est venu ici avec dix piastres ; il a été commis à vingt piastres pendant plusieurs années. Quatre fois il a perdu le fruit de ses épargnes englouties avec le vaisseau qui les portait ; mais il ne s’est pas rebuté pour si peu de chose, et à force de patience et d’économie, il a fini par amasser cinq cents lacks de roupies, ce qui est un bel exemple à donner aux gens qui s’occupent de commerce. Mais voici pour ceux qui ont un autre esprit. Quoique son âge avancé ne lui laisse pas l’espoir de vivre long-temps, quoique son immense fortune le mette à même de faire le bonheur