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la signature de M. de Bougainville, capitaine de la frégate, du comte Dupuy, pair de France, d’un inspecteur, d’un intendant, d’un contrôleur et de trois ou quatre commissaires de marine, pour autoriser le barbier du navire à faire repasser ses deux rasoirs aux frais de l’état, et que ce ne fut qu’après une nouvelle demande, sur un nouveau papier, avec de nouvelles signatures, qu’on lui permit d’acheter un chiffon pour essuyer ces mêmes rasoirs. À Chandernagor, nous avons des bureaux d’enregistrement, des bureaux d’armemens, des bureaux de contrôle, et même un capitaine de port, quoiqu’il n’y puisse plus venir de vaisseaux. Nous parlons sur nos budgets d’hôpitaux, d’arsenaux, de chantiers, de magasins, quoiqu’en réalité il n’y ait rien de tout cela. Nous ressemblons à ces marquis dépouillés, qui n’ont que de vieux parchemins pour toute fortune et pour tout mérite ; et telle est la fausse idée qu’on se fait généralement de l’Inde, qu’il y a beaucoup de gens qui échangeraient leur place de 6000 fr. à Paris, pour une de 12000 au Bengale, qui les rendrait moitié moins riches.

Chandernagor est situé au bord de l’Hougly, dont il n’est séparé que par une large promenade, appelée Ghaut, où l’on vient voir l’eau couler, au clair de la lune, seul plaisir des heureux habitans. Derrière cette promenade se trouvent deux rues qui lui sont parallèles, chacune coupée par une demi-douzaine de ruelles en zigzag. Telle est la ville blanche, occupée par vingt pauvres Français, dix riches Anglais, et trois cents métis. Les maisons de Chandernagor, comme toutes celles de l’Inde, ont une terrasse au lieu de toit, et sur les derrières un petit jardin potager avec un petit étang qui se réduit à un trou dans celles des employés de la marine. Le plus grand inconvénient de ces maisons est l’humidité et la chaleur. Les habitans quelque peu aisés remédient à la première avec des pankas suspendus au plancher ; les naturalistes se font des éventails avec des plumes de cigogne ou des feuilles de palmier, et les employés de la marine s’éventent avec leurs mouchoirs. On ne voit ni auberges ni pensions bourgeoises à Chandernagor et à Calcutta. Chaque individu a sa maison, son ménage particulier, et il faut au dernier commis un cuisinier, un portier, un jardinier, un balayeur, et un autre individu pour mettre sa table et nettoyer ses souliers ; car un Hindou, pour rien au monde, ne ferait un autre ouvrage