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mais madame n’arrive ordinairement qu’à sept, retardée qu’elle est par sa toilette. L’entrée du gouverneur s’annonce par celle de vingt domestiques portant des massues d’argent, des éventails, des queues de vache et autres attributs de la souveraineté chez les Hindous. On passe aussitôt dans sa salle à manger où chaque plat et chaque convive se trouvent répétés dans des glaces magnifiques. Les Anglais parlent peu à table, et d’ailleurs le gouverneur général est trop au-dessus de tout ce qui l’entoure par son âge et ses titres, pour qu’on ose causer librement, de sorte que chacun n’ouvre la bouche que pour manger. Je me suis bien gardé de rompre ce silence respectueux ; mais j’avais pour voisine une fort jolie dame pour laquelle il était d’autant plus pénible de se taire, qu’elle savait deux mots de français, et voulait m’en dire dix. Le dessert vint, puis on se leva ; je causai un instant avec le marquis, qui m’offrit non-seulement un passeport, mais encore des lettres d’introduction sur toute ma route, ce que j’acceptai avec reconnaissance et empressement. Nous rentrâmes au salon ; on prit le café, qui fut servi par des domestiques aussi brillans que des princes de mélodrames. La conversation ne devient jamais générale par le motif que j’ai dit plus haut. On cause tête à tête et presque bas ; le marquis s’endort, on parle plus bas encore ; il ronfle, on se tait, et la marquise se lève avec bruit pour le réveiller. Tous deux se retirent à dix heures, laissant ensemble une douzaine de personnes qui se connaissent peu, qui n’ont rien à se dire, et qui s’en retournent aussitôt chez elles, enchantées d’avoir eu l’honneur de s’ennuyer chez the most honourable governor.

Dans la belle saison, on dîne à sept heures, et l’on fait une promenade à cinq en calèche ou sur des éléphans, qui sont toujours aux ordres des invités. La première fois que je grimpai sur ces grands animaux m’en a dégoûté pour toujours ; il y a cependant des dames qui préfèrent l’éléphant au cheval, mais il faut pour cela n’avoir ni cœur ni entrailles, et je n’ai jamais vu que des Anglaises douées de ce goût intrépide.


P. S. Vis-à-vis de Barrackpour, sur la rive opposée de l’Hougly, se trouve un comptoir danois dont la célébrité n’est pas ce qui lui fait le plus d’honneur. Serampour, n’en déplaise à M. Jacobsen et à