inimitable l’hommage respectueux qu’adressait un prince mahrate à une douzaine de marchands de Londres. Ce prince est le plus bel homme qu’on puisse voir, et sa suite, non moins remarquable par la noblesse des traits et du costume, me faisait trouver bien laides ces longues têtes anglaises, ces joues décolorées, ces chevelures blondes, et bien ridicules ces habits étroits, ces bottes et ces cravates qu’on devrait jeter à l’eau en entrant dans le Gange. Le prince portait une longue robe blanche serrée par une ceinture plus blanche encore ; son cou était nu, sa barbe plus noire que l’ébène. Sa tête était couverte d’un turban parsemé de diamans fins qui suffiraient pour parer vingt petites princesses d’Allemagne. Son cimeterre en or, garni de pierres précieuses, pouvait faire la fortune de cinquante naturalistes, et les perles de ses pantoufles orner cent cous des plus coquets. La cérémonie terminée et le prince parti, on vit s’avancer un petit Européen qui faisait alors triste figure ; il portait une culotte courte, des bas de soie, et un habit noir qui ne valait pas l’empeigne des babouches du Marahte ; aussi tu penses bien qu’on ne mit pas autant de dignité dans la réception du petit Européen. Il expliqua sans complimens, sans parler du soleil et des étoiles, le but de sa visite, en rappelant la permission qu’on lui avait donnée de parcourir toutes les possessions anglaises. Le gouverneur général, étant descendu de son trône, m’invita à dîner, et je me retirai déjà las d’une entrevue qui m’avait mis tout en nage pour m’être tenu pendant un quart d’heure le corps tendu et le cou raide. Je retournai vers la marquise près de laquelle je suis plus à mon aise, attendu qu’elle n’a point de prince mahrate à recevoir, que ses jarretières sont sous sa robe, et qu’elle parle aussi bien français que moi. Es-tu curieuse, ma belle, de savoir ce qu’un jeune homme de vingt-huit ans peut dire pendant deux heures à une marquise de quarante dont les yeux ne le font pas mourir d’amour ? Comme à l’ordinaire, nous avons parlé de l’Europe avec regrets, nous avons comparé les dames d’Angleterre avec celles de France…
L’article médisance ne dura que sept quarts d’heure ; le huitième fut employé à voir de beaux dessins et des curiosités que chaque petit résident s’empresse d’envoyer au gouverneur général, qui aurait bientôt le plus riche cabinet d’histoire naturelle, s’il était tant soit peu naturaliste. On est censé dîner à cinq heures à Barrackpour ;