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LETTRES SUR L’INDE.

taine du vaisseau pendant le voyage. On leur apprend tout juste ce qu’il faut pour séduire un homme qui veut se marier, et je sais qu’il ne faut pas grand’chose. Elles épousent un commis, un lieutenant, un procureur ou un chirurgien dont le moindre défaut est de préférer le vin à l’amour. Cet infernal climat et leur singulier régime de vie altèrent en deux ans leur éclat et leur santé. La chaleur les entretient dans une oisiveté complète. Leur seule distraction consiste à visiter dans la journée deux ou trois magasins de modes, et le soir à s’aller promener sur une route aussi plate que la main. Arrivent bientôt les enfans dont elles ne s’occupent pas plus que s’ils n’étaient pas au monde. Ceux-ci passent de la sorte cinq ou six ans avec les domestiques noirs, après quoi on les envoie à Londres perfectionner leur éducation. Une maman anglaise, grâce à ses principes stoïques, se console facilement d’une absence qui procure à son fils l’avantage d’épeler Horace, et à sa fille, celui d’écorcher Cramer. Tous deux reviennent dans leur pays pour faire connaissance avec leur père et leur mère qui sont déjà vieux. Tous deux se marient six mois après la reconnaissance, et gouverneront un jour leurs enfans de la manière dont ils ont été gouvernés eux-mêmes.

Bonsoir, ma chère belle, j’en aurais trop à te dire sur ce sujet. Je quitterai Calcutta demain. Je termine cette lettre en t’apprenant que nous avons deux mauvais théâtres d’amateurs où l’on paie dix-huit francs pour entrer, et dont le premier acteur est secrétaire de la Société Asiatique. Pas de bibliothèques, pas de musée, pas de conversations, rien de ce qui charme notre triste et courte vie ; mais en revanche des maisons de banque et de jeu qui l’abrègent. Adieu ! J’espère n’avoir plus à revenir dans cette ville maudite où le moindre inconvénient est d’être étouffé par la chaleur ou la poussière des briques dans une espèce de litière romaine nommée palanquin, où l’on s’étend comme un mourant qu’on porte à l’hôpital.


21 au soir.


… Je t’écris à cette heure de la maison flottante qui va me promener pendant quelques mois sur les eaux sacrées du Gange,