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REVUE DES DEUX MONDES.

soudan Orosmane ; n’ayez donc pas peur de lui. S’il entrait ici, par exemple, disant avec la tendresse que met Lekain dans cette scène-là :

Hélas ! le crime veille et son horreur me suit.
À ce coupable excès porter sa hardiesse !
Tu ne connaissais pas mon cœur et ma tendresse,
Combien je t’adorais ! quels feux !…

LA DUCHESSE (se levant et allant à lui ).

Monsieur ! avez-vous quelque chose à me reprocher ?…

LE DUC (riant).

Ah ! le mauvais vers que voilà. Eh ! bon Dieu, que dites-vous donc là ! Ce n’est pas dans la pièce.

LA DUCHESSE (boudant).

Eh ! monsieur, je ne dis pas de vers, je parle. On ne vient pas à minuit chez une femme pour lui dire des vers aussi.

LE DUC (jetant son livre).
(Avec tendresse et mélancolie.)

Eh ! croyez-vous donc que ce soit là ce qui m’amène ? causons un peu en amis.

(Il s’assied sur la causeuse près d’elle.)

Çà ! vous est-il arrivé quelquefois de songer à votre mari, par extraordinaire, là, un beau matin, en vous éveillant ?

LA DUCHESSE (étonnée).

Eh ! monsieur, mon mari pense si peu à sa femme, qu’il n’a vraiment pas le droit d’exiger la moindre réciprocité.

LE DUC.

Eh ! qui donc vous a pu dire, ingrate, qu’il ne pensait pas à vous ? était-il en passe de vous l’écrire ? c’eût été ridicule à lui. Vous le faire dire par quelqu’un, c’était bien froid. Mais venir vous le jurer chez vous et vous le prouver, voilà quel était son devoir.

LA DUCHESSE (à part).

Me le jurer ! Ah ! pauvre chevalier ! (Elle baise son portrait.) Me le jurer, monsieur ! et me jurer quoi, s’il vous plaît ? Vous êtes-vous jamais cru obligé à quelque chose envers moi ? Que vous suis-je donc, monsieur, sinon une étrangère qui porte votre nom ?…