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QUITTE POUR LA PEUR.
ROSETTE.

Ah ! bon Dieu ! madame, vous en vouloir ? Bien au contraire, je crois qu’il n’y a personne qui ne vous sache gré à tous deux de vous aimer si bien.

LA DUCHESSE.

Crois-tu ?

ROSETTE.

Cela se voit dans les petits sourires d’amitié qu’on vous fait en passant quand il donne le bras à madame la duchesse. Vos deux familles le reçoivent ici avec un amour…

LA DUCHESSE (soupirant).

Oui, mais il n’est pas ici chez lui et cependant c’est là ce qu’on appelle le plus grand bonheur du monde, et tel qu’il est, on n’oserait pas le souhaiter à sa fille. (Après un peu de rêverie.) Sa fille ! ce mot là me fait trembler. Est-ce un état bien heureux que celui où l’on sent que si l’on était mère, on en mourrait de honte, que l’insouciance et les ménagemens du grand monde finiraient là tout à coup, et se changeraient en mépris et en froideur, que les femmes qui pardonnent à l’amante fermeraient leur porte à la mère, et que tous ceux qui me passent l’oubli d’un mari, ne me passeraient pas l’oubli de son nom, car ce n’est qu’un nom qu’il faut respecter, et ce nom vous tient enchaînée, ce nom est suspendu sur votre tête, comme une épée ? Que celui qu’il représente soit pour vous tout ou rien, n’importe ! nous avons ce nom écrit sur le collier, et au bas : j’appartiens.

ROSETTE.

Mais, madame, serait-on si méchant pour vous ? Madame est si généralement aimée !

LA DUCHESSE.

Quand on ne serait pas méchant, je me ferais justice à moi-même et une justice bien sévère, croyez-moi. — Je n’oserais pas seulement lever les yeux devant ma mère, et même, je crois, sur moi seule.

ROSETTE.

Bon Dieu ! madame m’effraie.

LA DUCHESSE.

Assez. Nous parlons trop de cela, mademoiselle, et je ne sais pas