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de posséder une formule générale et précise qui exprime le développement total de ce peuple ; ces sortes d’études pouvaient convenir à Bossuet, à Vico, à Herder, et, de nos jours, séduisent encore quelques esprits graves et solitaires comme Schelling ou Ballanche. Mais quoique ces hardies tentatives, loin de refroidir l’imagination, l’exaltent et la rassérènent, en portant ses regards vers les régions de l’idéalité la plus pure, cependant je conçois très bien que les artistes les plus éminens qui ont écrit pour le théâtre ne se soient pas mêlés à ces sortes d’investigations. C’est qu’en effet les inventions scéniques vivent surtout d’individualité, tandis que les formules historiques ont besoin d’absorber l’homme dans l’idée.

Néanmoins, lors même qu’il s’agit d’aborder poétiquement et directement un caractère ou un événement historique, il faut en connaître la mission et le rôle, l’origine et la fin. Autrement on marche de tâtonnemens en tâtonnemens, dans une nuit que le génie le plus heureux risque tout au plus d’éclairer par le mensonge.

Et ainsi, puisque Richard iii, dans les annales anglaises, marque le passage de la maison de Lancastre à la maison de Tudor, si l’on ignore le sens politique de cette transition, à moins qu’on ne trouve dans la biographie de Richard iii une tragédie exclusivement domestique, une intrigue d’amour par exemple, une aventure de jeunesse, il n’y a pas de poème possible.

On le sait, la guerre civile des deux roses, c’est-à-dire la querelle des maisons d’York et de Lancastre, marque, dans l’histoire des îles Britanniques, la ruine de la royauté féodale, et l’avènement de la royauté absolue, qui devait elle-même succomber en 1649, pour faire place en 1688 à la monarchie représentative. Donc, une tragédie où Richard iii joue le principal rôle doit nous montrer l’agonie de la royauté féodale. À cette heure où le dogme de la royauté absolue n’a pas encore été consacré par l’avarice de Henri vii, et la luxure sanguinaire de Henri viii, la guerre n’est pas entre la cour et le peuple ; elle est entre les seigneurs qui s’entretuent et se disputent la couronne. Le premier guerrier venu qui peut mettre une armée brave et cupide au service de son ambition, s’appelle roi et s’asseoit sur le trône. Ainsi fit Richard iii.

Quoi qu’on fasse, toutes les fois qu’on mettra sur la scène ce