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LES ENFANS D’ÉDOUARD.

cordera bien, je l’espère, que la représentation scénique puisse arracher des cris de souffrance, aussi bien que le marbre ciselé par le statuaire de Marseille.

Si l’on veut essayer de décalquer sévèrement les lignes de la fable inventée par M. Delavigne, on a grand’peine à comprendre le travail de sa pensée. Le duc de Glocester souffre avec une patience exemplaire les railleries d’un marmot, qu’il pourrait d’une parole réduire au silence. Il convoite le trône, il le touche du doigt, il n’a qu’à étendre la main pour placer la couronne sur sa tête, et, comme un intrigant vulgaire, comme un chevalier d’industrie, il flatte honteusement la reine, qui va s’enfuir au premier soupçon de ses desseins. Il descend jusqu’à la rassurer, quand il pourrait lever le front, et lui dire hardiment : « Je veux être le roi, et je le serai. » Il se laisse insulter par le jeune duc d’York, et se résigne à l’insulte au lieu de la punir. Il confie à Buckingham la moitié de ses projets, et s’indigne de ses scrupules, comme s’il ignorait qu’en de pareils marchés les demi-confidences font les trahisons inévitables. Au lieu de le gagner en l’associant au partage, il s’amuse à le tromper comme la reine, à protester devant lui de son dévoûment inviolable aux droits et à la personne des héritiers d’Édouard iv. Puis, pour décharger sa conscience de toute inquiétude, il le fait assassiner par un aventurier ; il gaspille le crime, il prodigue les meurtres publics, comme s’il n’avait pas à sa dévotion les prisons et l’exil.

Quand il tient dans sa main la vie d’Édouard v et de Richard d’York, chose incroyable ! il ne révèle pas à leurs geôliers le sort qui les attend ; et c’est leur mère elle-même, la reine Élisabeth, qui leur apprend qu’ils vont mourir. Comment a-t-elle pu pénétrer dans la tour ? comment a-t-elle trompé la vigilance des gardiens ? résolve qui pourra ces questions insolubles. Je ne chicanerais pas la vraisemblance du moyen, si le poète atteignait à de grands effets ; mais comme il n’en est rien, j’ai le droit de me plaindre.

Le dénoûment prévu d’avance, la mort des deux enfans, n’effraie pas un seul instant. Pourquoi ? c’est que les deux frères n’ont pas dans la bouche un accent vrai, pathétique ; c’est qu’ils regrettent la vie comme des hommes, pour des honneurs qu’ils ignorent, et