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nité et la paix au sein d’une organisation naturelle et nationale, et c’est ainsi qu’un corps de littérateurs a pu hériter de la violence et de la guerre, et qu’une époque pacifique a pu succéder à des siècles de destruction.

Quand les généraux et les fils de Djingis-Khan conquirent la Chine, leur première pensée fut de la détruire ; car c’est ainsi que ces chefs entendaient la conquête. Les lettrés garantirent la Chine de l’extermination totale dont elle était menacée. À cette époque, on en voit quelques-uns, ministres des empereurs mongols, s’interposer entre eux et leurs concitoyens, enseigner à ces vainqueurs sauvages quel parti ils pouvaient tirer de l’administration régulière qu’ils trouvaient établie dans l’empire, et les gagner à l’humanité en leur prouvant que le gouvernement leur rapporterait plus que le pillage. Ces lettrés, en sauvant l’existence matérielle de leur pays, avaient sauvé sa civilisation ; car les Tartares ne l’ayant pas anéantie furent contraints de l’adopter. Alors on vit quelle est la force d’une organisation sociale fondée sur des mœurs enracinées. Mœurs et lois résistèrent à la plus terrible des conquêtes, et s’imposèrent aux plus redoutables des conquérans.

Le même spectacle se reproduisit lors de la conquête des Mantchoux, et à l’heure qu’il est, l’empire du milieu, après avoir traversé tant de siècles, tant de vicissitudes et d’invasions, est encore gouverné par ses vieilles maximes. Ce qu’il y a d’essentiel dans ses mœurs n’a pas péri.

Mais qu’est-il résulté de cette inconcevable ténacité ? Ces mœurs, nées d’un état de choses entièrement aboli depuis bien des siècles, ont cessé d’être en harmonie avec la société qui s’appuyait sur elles ; elles ont perdu, pour ainsi dire, leur sens et leur vertu. L’empereur de la Chine s’appelle encore le père et la mère de son peuple, et une fois par an il ouvre lui-même un sillon en témoignage de son respect de l’agriculture ; mais l’autorité paternelle et patriarcale s’est peu à peu changée en un despotisme absolu. Le devoir de nourrir les cent familles primitives est devenu le soin du bien-être matériel d’un peuple immense. Despotisme sans limites du souverain, soin exclusif du bien-être matériel des sujets, voilà à quel état de choses ont abouti les anciennes mœurs patriarcales et agricoles. Il valait mieux pour elles s’effacer, et être remplacées par des mœurs nouvelles que de subsister ainsi dénaturées. La Chine est une momie de peuple. Une momie a, si l’on veut, figure d’homme ; on y reconnaît même les traits fondamentaux de la race, mais elle ne subsiste qu’au moyen des bandelettes qui la serrent et sans lesquelles elle tomberait en poussière ; mais de son sein vide on a retiré les organes de la vie. Il en est ainsi de la Chine ; ses membres ne tiennent ensemble que parce qu’elle est étroite-