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vingt-deux dynasties ; il a donc éprouvé au moins vingt-deux révolutions. Deux fois il a été vaincu par les barbares, et deux fois il a vaincu la barbarie.

Depuis l’époque de ses premiers rois, que le début de son histoire nous montre desséchant le sol et fondant la société, jusqu’à l’empereur qui règne maintenant sur cent quatre-vingt millions d’hommes, à travers la longue période de ses déchiremens, quelque chose a subsisté immobile : c’est le fonds de ses anciennes mœurs. Ce fonds est aujourd’hui bien altéré, bien corrompu sans doute, mais il est reconnaissable même à cette heure, au sein d’une civilisation décrépite, comme les traits caractéristiques du visage de l’enfant peuvent se lire encore sur la physionomie décomposée du moribond.

Quel était-il ce fonds immuable d’où tout est sorti ? quel était l’élément primordial de cette vieille société ? C’était la famille patriarcale, la famille agricole. De là les deux idées qui sont encore l’âme de la politique chinoise : l’obéissance filiale, l’importance de l’agriculture.

Ouvrons les annales de la Chine. Quel spectacle nous présentent les premiers chapitres du Chou-King, son plus ancien livre historique ? Un chef gouvernant les familles et les tribus qui se groupent autour de lui, comme il gouvernerait des enfans et des serviteurs, appliquant tous ses soins à assainir la terre, à la rendre habitable et féconde, à favoriser par la culture la multiplication de l’homme et des animaux utiles. Ce sont quelques tribus qui se détachent de leur errante famille et se font une vie stable en s’attachant au sol. Ce qui peut seconder la tendance agricole, la faire prévaloir sur la vie nomade, c’est là ce que le chef encourage et prescrit avec une autorité toute paternelle. Un de ces anciens rois est un laboureur, un autre est choisi à cause de son respect pour ses parens[1]. Si l’on énumère les devoirs des rois, le premier est de procurer au peuple les cinq choses nécessaires à la vie, celui de faire régner la vertu ne vient qu’après[2]. Des huit règles du gouvernement la première est celle des fruits, la seconde celle des biens, c’est-à-dire, le soin de la nourriture et du bien-être matériel des hommes. La maxime fondamentale est l’obéissance filiale, et ce qui n’en est qu’une extension, le respect de la vieillesse, un vieillard étant respectable pour chacun en ce qu’il lui présente l’image de son père. En ces temps, l’idée de la paternité, dans laquelle se confondait celle de l’amour maternel, s’appliquait au principe de la société et à celui de l’univers. On disait : De même que le ciel et la terre ont

  1. Chou-king trad. du père Gaubil, p. 9.
  2. id., p. 24.