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LES LOIS ET LES MŒURS.

nous outrage, où ils nous méprisent de les supporter, et il y a peu d’années, une grande puissance a reculé devant leur fanatisme aux abois. Ce fanatisme est leur force, car c’est l’amour passionné de leurs mœurs et de leurs lois. Je sais que, de nos jours, un petit-fils d’Othman a conçu l’étrange dessein de tailler brusquement la société musulmane sur le modèle de la nôtre. Ceux qui ont vanté les égorgemens philosophiques de ce brûleur de casernes, dont on a voulu faire un grand homme, et qui n’est qu’un barbare honteux, croyant marcher avec l’Europe, et se traînant à sa suite dans le sang ; ceux qui l’ont vanté pensaient sans doute que la civilisation se laissait intimer par un décret sanglant du despotisme, et qu’on pouvait envoyer le cordon de mort à une société comme à un visir. Les choses ne vont point ainsi : il y a encore beaucoup à faire pour transporter Paris à Constantinople. Au reste, il me semble évident que le jour où Mahmoud aura renversé le dernier débris des mœurs nationales et religieuses qui étaient le support de son empire, cet empire posant à vide tombera. Dans l’intérêt de l’Europe et de la Grèce, je souhaite que le sultan remporte encore beaucoup de victoires sur les mœurs et sur le fanatisme de ses sujets.

L’ÉGYPTE ET LA PERSE.

Comment parler de l’Orient et ne pas prononcer le nom de l’antique Égypte ; mais comment comparer ses lois et ses mœurs, quand les unes et les autres nous sont si imparfaitement connues ?

L’Égypte tout entière est un grand hiéroglyphe que l’on n’a pas encore déchiffré. Ce qu’on entrevoit de sa constitution présente des rapports frappans soit avec l’Inde, soit avec la Judée. Comme dans la première, nous voyons ici des castes qu’Hérodote appelle des races[1] vouées à certaines occupations héréditaires ; à leur tête une caste sacerdotale gouvernant par un roi de la caste des guerriers, et les prêtres réglant avec le même despotisme qu’aux Indes sa vie et ses moindres actions. En Égypte, je trouve, comme chez Moïse, l’agriculture fondement de l’état, et de perpétuels efforts pour asseoir la société sur une base territoriale et pour la défendre de la contagion et de l’invasion des mœurs nomades, pour séparer fortement le peuple agricole des peuples pasteurs qui le soumirent une fois et le menacèrent long-temps. Ces analogies ne sont pas très extraordinaires, car l’influence de l’Inde sur l’Égypte, admise par Heeren

  1. Γενεα.