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semble Israël et Juda, le joug de Moïse n’avait pas suffi, il fallut le joug et la main pesante du vainqueur. À travers toutes ces vicissitudes, la loi a toujours été, au milieu du peuple, personnifiée dans les prophètes qui en sont l’expression vivante ; toujours ils ont averti leurs frères de corriger leurs mœurs dont la perdition a entraîné la perte de leur loi. Après la captivité, ce furent d’incroyables et touchans efforts pour retrouver cette ancienne loi, pour reconstruire l’ancien peuple du Seigneur, pour se reprendre aux mœurs et aux traditions des aïeux ; mais bientôt le glaive d’Alexandre fendit les antiques ténèbres de l’Orient, et rapide comme la lueur de ce glaive, un éclair du génie grec les traversa. La civilisation opiniâtre de la Judée fut bien vite entamée par cette civilisation pénétrante. Sous les successeurs d’Alexandre, les Juifs s’hellénisèrent, et leur loi se corrompit tous les jours davantage. Sous les Macchabées, il y eut un retour prodigieux d’esprit national, et la Judée se crut revenue au temps des Juges. Enfin, les Romains, devant qui tout devait tomber, parurent. Les Juifs choquèrent les maîtres du monde par l’obstination de leurs mœurs et l’indépendance de leur loi. Les Romains firent tout ce qu’ils purent pour dénaturer les unes et fausser l’autre ; l’Iduméen Hérode les servit par ses intrigues : cependant les Juifs ne cédèrent pas, et malgré leur état misérable, malgré les sectes qui les divisaient, malgré les altérations profondes qu’avaient subies leurs croyances, leurs mœurs et leur constitution, ils résistèrent. On vit qu’il fallait en finir avec eux et les détruire. Cela même fut impossible. On brûla Jérusalem, on massacra des milliers d’hommes, de femmes, d’enfans ; on ne put tuer le peuple, il vit encore.

Jérusalem tombée, une nouvelle ère commença pour le Juif, une ère d’exil et d’asservissement : cette condition malheureuse influa sur la loi ; tant qu’il avait été séparé des autres peuples, elle avait subsisté dans son intégrité ; maintenant qu’il allait proscrit à travers le monde, elle perdit sa simplicité primitive ; les mystères insensés de la cabale, les subtilités des rabbins, en la surchargeant, la défigurèrent. Alors aussi les malheureux Juifs connurent et subirent d’autres lois sur lesquelles leurs mœurs n’avaient point de prise. Ce furent les lois de leurs maîtres, les lois du pays qui leur vendait un précaire asile. Ces lois de l’oppresseur firent partout l’immoralité du peuple opprimé, et si l’on peut reprocher aux Juifs du moyen âge des mœurs sordides, on doit dire que ce furent nos lois qui les condamnèrent à ces vices. Partout de leur état civil dépendirent et leur genre de vie et les mœurs qu’ils adoptèrent. Chez les Maures d’Espagne, où leur sort était assez doux, ils cultivèrent les lettres au point de négliger le commerce ; mais dans les pays comme la France et l’Angleterre, où on