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plupart des peuples primitifs. C’est le tair des Arabes, surtout en usage avant Mahomet. Il est évident qu’elle était de tout temps commune aux populations sémitiques. Rien n’est plus opposé à la discipline de la loi mosaïque que cette liberté de se faire justice par ses propres mains ; rien n’est plus attentatoire à la majesté du Dieu vengeur que de devancer son arrêt, et de substituer un bras périssable à son bras éternel. Cependant Moïse a laissé subsister cet usage. Il l’a trouvé trop profondément enraciné dans les mœurs nationales pour tenter de l’extirper. Nulle part il ne le sanctionne directement, par où on voit bien qu’il n’en est pas l’auteur ; mais il s’en occupe comme d’une chose établie, pour le régulariser et le restreindre.

Car là où cette grande volonté est contrainte de plier devant la puissance invincible des coutumes reçues, des lois qui font partie des mœurs, elle s’efforce du moins de modifier ce qu’elle ne peut détruire. Ainsi, Moïse n’établit pas le divorce, mais il l’admet comme une institution existante, et il en tempère les inconvéniens par une clause qui en prévient l’abus, il défend de reprendre la femme qu’on a quittée.

Moïse, le créateur par excellence en matière de législation, n’a donc pas tout créé. Ce puissant artiste a travaillé sur un fond donné, sur une matière qui lui préexistait. C’est l’œuvre des plus grands hommes ; Dieu seul fait quelque chose de rien, et rien de quelque chose.

En outre, comme je l’ai dit, cette loi n’était pas entièrement immuable, une partie a subsisté et subsiste encore, une autre s’est conformée aux temps, s’est transformée avec les mœurs.

Dans certains cas, la correction d’une loi inexécutable ne s’est pas fait attendre long-temps. Ainsi, la loi de mort proclamée d’une manière absolue contre les Chananéens, dans le premier élan de l’horreur religieuse, fut mitigée sous les Juges. Par suite du relâchement et de la corruption croissante des mœurs, l’on fut obligé d’augmenter avec le temps les amendes que Moïse avait fixées. Je ne parle point ici de leur taux relatif, qui suit partout les variations de la valeur de l’argent ; je parle de leur taux absolu. Ainsi, du temps de Moïse, le voleur payait[1] quatre ou cinq fois, et au temps de Salomon sept fois la valeur de l’objet dérobé.

Des dispositions législatives, tout autrement importantes et fondamentales, n’ont pas tenu devant la résistance des mœurs et ont été promptement abrogées par l’usage. Telle est l’institution si remarquable de l’année du jubilé.

On sait que Moïse, dont la pensée dominante était la stabilité, la fixité

  1. Deuxième livre de Moïse, 23-37, comparez proverbes, 6, 31.