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LES LOIS ET LES MŒURS.

communautés contient, outre les propriétaires fonciers, douze membres, le juge et magistrat (potail), celui qui tient les registres, celui qui inspecte la commune et ses dépendances, celui qui distribue les eaux pour l’irrigation, l’astrologue qui détermine les jours et les heures favorables ou sinistres, le charron, le potier, celui qui lave les menus vêtemens fabriqués dans l’intérieur des familles ou achetés au marché voisin, le barbier, l’orfèvre ou celui qui travaille à la parure des femmes et des jeunes filles, et qui dans maintes localités est remplacé par le poète (rapsode) ou maître d’école… L’Inde est une masse de semblables républiques. Elles ne s’inquiètent point de la chute et du partage des empires, pourvu que la commune subsiste avec son territoire qui est marqué très exactement par des bornes. Peu leur importe à qui passe le pouvoir. L’administration intérieure demeure toujours la même.

Il me semble évident que les brahmes ne sont pour rien dans l’organisation de ces petites sociétés, car ils y auraient marqué leur place, ils se seraient attribué une part des revenus ; elles ont bien en général leur brahme, mais il ne compte pas parmi les douze fonctionnaires essentiels. Il leur est annexé comme une dépendance, non comme un principe. Il faut donc reconnaître là quelque chose qu’ils n’ont pas créé, qui était antérieur à leur arrivée dans le sud de l’Inde ; et qu’on y fasse bien attention, c’est dans cette portion du pays sur laquelle leur pouvoir s’est moins complètement étendu, que s’est le mieux conservée cette organisation primitive : c’est une preuve de plus qu’elle ne vient point d’eux. Voilà donc un élément social antérieur aux brahmes, et qui a subsisté au-dessous de la législation qu’ils ont imposée au pays.

Ainsi trois sortes d’associations qui font la vie sociale de l’Inde, la caste, la parenté religieuse, la commune, ne sont point l’œuvre de la législation brahminique. Cette législation les a trouvées toutes faites, elle les a reçues de mœurs aussi anciennes ou plus anciennes qu’elle-même.

Telle est la part qu’on doit faire à l’action des mœurs primitives sur la loi indienne. Cette loi qui semble d’abord si intraitable est donc entrée en composition avec les mœurs, et a respecté les habitudes fondamentales des Hindoux. Mais ce n’est pas tout : cette loi, dont le caractère est l’immutabilité, l’éternité ; cette parole de Brahma, que rien ne devait altérer, a subi par l’effet du temps des changemens essentiels, et elle s’est montrée flexible aux mœurs nouvelles, comme elle avait été docile aux mœurs primitives. Seconde influence non moins importante à signaler que la première.

Voici ce que prescrit l’antique loi de Manou dans le cas d’adultère[1] :

  1. chap. viii.