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colonel Evans, indice prophétique de l’orage qui commence à gronder autour du ministère de lord Grey. L’autre, tout aussi important, est le bill qui s’élabore en ce moment pour l’émancipation des esclaves dans les colonies anglaises des Indes occidentales. S’il passe tel qu’il est conçu, la plaie la plus honteuse de l’humanité actuelle aura disparu dans vingt ans de cette partie du monde. Les lois sur la traite ne faisaient que prohiber l’importation de nouveaux nègres : celle-ci attaque l’esclavage dans sa source même.

Parmi nous, en dehors de la politique, les théâtres seuls peuvent fournir matière à quelques observations, et je vais vous en dire deux mots.

Les nombreux admirateurs du beau talent de madame Dorval n’apprendront pas sans intérêt qu’une représentation extraordinaire doit avoir lieu dans quelques jours à son bénéfice. M. Véron, avec son obligeance accoutumée, a mis la salle de l’Opéra à la disposition de madame Dorval. La composition du spectacle n’est pas définitivement arrêtée ; nous pouvons dire seulement que toutes les illustrations de nos théâtres y concourront, et qu’un de nos premiers écrivains a composé pour cette solennité un proverbe qui n’en sera pas la partie la moins piquante. La Revue publiera ce proverbe dans sa prochaine livraison.

Je vous ai dit un mot dernièrement du rajeunissement projeté du Théâtre Français, et je croyais, dans ma simplicité, avoir à vous annoncer aujourd’hui qu’on avait déjà mis la main à la besogne. Mais pas plus en fait d’art que de politique, les choses n’ont cette allure dégagée par le temps qui court. Le spirituel écrivain choisi pour opérer le miracle avait accepté : c’était chose à peu près conclue, et le grand œuvre allait commencer, lorsque soudain une double clameur s’est élevée dans les camps ennemis des classiques et des romantiques, mots dont je me sers à défaut d’autres à moi connus pour rendre ma pensée. On se rappelle la grotesque pétition faite par les premiers à Charles x, pour le prier d’interdire l’entrée du Théâtre Français à leurs adversaires. Depuis cette époque il paraît que l’encombrement s’est prodigieusement accru dans leurs portefeuilles ; qui d’entre eux a six tragédies, qui huit comédies, qui quatre ou cinq drames à écouler, sans compter M. Viennet, dont le bagage dramatique à lui tout seul s’élève, dit-on, à environ quarante mille vers. Dans cet état de pléthore effrayante, on sent que la veine poétique de ces messieurs a besoin d’une prompte et abondante saignée pour éviter une apoplexie prochaine, et en conséquence ils ont piteusement exposé leur situation au ministre, se plaignant que le directeur désigné, étant connu pour hanter les romantiques, et être infecté de leurs doctrines, fermerait inévitablement le che-