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tiques espagnols[1]. Ce n’est donc pas sans péril qu’un auteur pouvait se permettre de telles licences sur la scène espagnole, et Boileau, l’imitateur Boileau, lançant contre le péché de quelques-uns une excommunication générale, n’est encore que le copiste de ceux qu’il condamne. Pour Laharpe, il ne savait que par ouï-dire qu’il y eût un théâtre espagnol ; l’histoire ne lui en était pas plus connue que la langue. Et cependant, pour remplir son office de rhéteur universel, il tranche hardiment du critique, et tombe avec un imperturbable aplomb dans les plus lourdes erreurs. Ne loue-t-il pas Beaumarchais « d’avoir substitué un dialogue plein d’esprit et de verve aux fadeurs et aux pasquinades qui font tout l’assaisonnement des anciens canevas espagnols ? » Certes, voilà ce qui s’appelle apprécier dignement Lope de Vega, Calderon, Moreto ; voilà mesurer avec conscience la taille de ces géans, et rendre pleine justice à des renommées devant qui le grand Corneille inclinait son vénérable front ! Le dédain de Laharpe serait un faible mal ; mais de tels jugemens se propagent, et les impressions de collége deviennent une sorte de préjugé dont les esprits même les plus élevés ne peuvent, à moins d’études approfondies, se délivrer entièrement. Dans son Essai historique sur Shakespeare, M. Villemain juge ainsi l’époque où brilla ce grand homme : « Chez toutes les nations de l’Europe, excepté l’Italie, le goût se montrait à la fois grossier et corrompu. » L’exception n’est pas complète, car le seizième siècle est précisément celui où fleurirent tous les grands écrivains de l’Espagne, et qu’elle appelle avec un juste orgueil son siècle d’or ; ce ne fut que dans le siècle suivant que le goût se cor-

  1. Poemas à de nace un nino, y crece, y tiene barbas (Lopez Pinciano)… Des pièces où naît un enfant qui grandit et prend de la barbe.

    Salir un nino en mantillas en la primera escena y en la segunda salir ya hecho hombre barbado. (Cervantès.) On voit paraître un enfant au maillot dans la première scène, et dans la seconde, il revient déjà fait homme barbu.

    Ni que parié la dama esta jordana y en otra tiene el nino y sus barbas. (Id.)

    … La dame accouche dans cet acte, et dans l’autre, l’enfant a déjà sa barbe.