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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

illustré la France, c’est faire un aveu bien honorable à nos devanciers ; mais, pour être complètement justes à leur égard, il faut reconnaître que, dans le sens où nous leur devons Corneille, nous leur devons aussi Molière. Cette opinion demande quelques développemens. Dans ses premiers ouvrages, écrits en quelque sorte pour une troupe de bateleurs, Molière imita d’abord les Italiens, maîtres en l’art de la farce ; néanmoins il paraît que, dès ces débuts, la littérature espagnole ne lui était point étrangère. En effet, l’épisode d’André, dans l’Étourdi, semble imité de la nouvelle de Cervantès la Gitanilla de Madrid, mise en comédie par Solis, et le Dépit amoureux contient une scène évidemment prise au Chien du jardinier (El perro del hortelano), de Lope de Vega. Mais c’est surtout à son entrée dans la haute comédie que se reconnaît cette influence à laquelle Corneille dut le Cid et le Menteur. « Cette comédie de Corneille, dit Voltaire, n’est qu’une traduction ; mais c’est probablement à cette traduction que nous devons Molière. Il est impossible en effet que l’inimitable Molière ait vu cette pièce sans voir tout d’un coup la prodigieuse supériorité que ce genre a sur tous les autres, et sans s’y livrer entièrement. » L’illustre commentateur donne, en parlant ainsi, le plus éclatant témoignage de son exquise sagacité ; car ce qui n’est dans sa pensée qu’une conjecture, une vraisemblance, se trouve être un fait positif. La preuve en est fournie par Molière lui-même. Voici comment il s’exprime dans une lettre à Boileau, citée par Martinez de la Rosa, et que Voltaire ne connaissait point : « Je dois beaucoup au Menteur ; quand on le représenta, j’avais déjà le désir d’écrire, mais j’étais en doute sur ce que j’écrirais. Mes idées étaient encore confuses, et cet ouvrage les fixa… Enfin, sans le Menteur, j’aurais composé sans doute des comédies d’intrigue, l’Étourdi, le Dépit amoureux ; mais peut-être n’aurais-je pas fait le Misanthrope. »

Ce ne fut pas seulement par l’intermédiaire du grand Corneille que Molière reçut l’influence du théâtre espagnol ; il lui fit, surtout dans ses ouvrages de second ordre, plusieurs emprunts directs. Don Garcie de Navarre est l’imitation d’une comédie héroïque portant le même titre (don Garcia de Navarra), La princesse d’Élide est prise de la célèbre comédie de Moreto, El desden con el desden,