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invention.» Il l’appelle aussi, dans son enthousiasme, la merveille du théâtre, et ne craint pas d’assurer que, « dans ce genre, il n’a rien trouvé qui lui fût comparable, ni chez les anciens, ni chez les modernes. »

Cet excellent original, cette merveille du théâtre est la comédie intitulée La Verdad sospechosa (la vérité douteuse), de Don Juan Ruis de Alarcon. Long-temps elle fut attribuée, par les uns, à Lope de Vega, par les autres, à Francisco de Rojas, et Corneille en ignorait l’auteur véritable. Lorsqu’il donna la suite du Menteur, il avoua, avec la même ingénuité, « qu’il avait eu raison de dire que ce ne serait pas le dernier larcin qu’il ferait aux Espagnols, et que cette suite était tirée de la même source. » C’est en effet le sujet traité par Lope de Vega sous le titre de Amar sin saber à quien (aimer sans savoir qui).

S’il était besoin d’ajouter d’autres preuves à de tels aveux, et s’il fallait faire comprendre jusqu’à quel point notre théâtre, au dix-septième siècle, était sous l’influence immédiate du théâtre espagnol, il suffirait de citer Fontenelle, si jaloux cependant de la gloire de son oncle. « Cette pièce, dit-il en parlant d’un autre ouvrage du grand Corneille, est presque entièrement tirée de l’espagnol, selon la coutume de ce temps… car alors on prenait presque tous les sujets des Espagnols, à cause de leur grande supériorité dans ces matières. » Cervantès disait aussi, vers la fin de sa vie, qu’en France, ni homme, ni femme, ne manque d’apprendre la langue castillanne (Persiles y Sigismunda) ; » et Voltaire accorde aux Espagnols la même influence sur la littérature que sur les affaires publiques. Mais à quoi bon multiplier les citations et les preuves ? N’est-il pas reconnu que l’auteur du Cid et du Menteur, plein d’admiration pour ses maîtres, et nourri de leurs ouvrages, porta, même dans les compositions qui lui sont propres, ces mœurs chevaleresques, ces hauts sentimens, ces pensées fastueuses, dont il avait eu tant de modèles ? N’est-il pas reconnu que ses Romains eux-mêmes appartiennent au moyen âge autant qu’à la république, et sont peut-être plus Espagnols que Romains ?

Confesser avec Voltaire que « nous devons à l’Espagne la première tragédie touchante et la première comédie de caractère qui aient