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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

Lupercio de Argensola, tragédies auxquelles Cervantès adressa, dans son Don Quixote, des louanges si flatteuses et si délicates, mais qui, l’on doit l’avouer, sont loin d’en être dignes. Un exemple en sera la preuve. Dans l’Alexandra, dont le sujet se rattache à l’histoire des Ptolémées, tous les personnages sans exception meurent à la fin. Il n’en reste pas un seul pour dire, comme dans le sainete si connu de Manolo : « Et nous, qu’est-ce que nous faisons ? mourons-nous aussi ?

Les éloges accordés par Cervantès à de telles compositions doivent d’autant plus surprendre sous la plume d’un écrivain si peu flatteur, qu’il avait donné lui-même une tragédie bien supérieure à celle d’Argensola, quoique fort éloignée de la perfection. La Numancia (la chute de Numance) est assurément le meilleur ouvrage dramatique de l’auteur du Don Quixote. Dans les sentimens héroïques d’un peuple qui se dévoue à la mort pour conserver sa liberté, dans les touchans épisodes que fait naître, au milieu de cette immense catastrophe, l’enthousiasme de l’amour, de l’amitié, de la tendresse maternelle, se déploie tout le génie de cette âme si fière et si tendre. Mais l’ensemble est éminemment défectueux, le plan vague et décousu, les détails sont incohérens, et l’intérêt, trop divisé, se fatigue et s’éteint. La Numancia peut être lue, mais non représentée. Cependant Cervantès, qui pressentait combien la pompe théâtrale devait prêter au drame de grandeur et d’éclat, s’était efforcé d’ajouter à son ouvrage toutes les ressources dont la scène disposait de son temps, et les recommandations imprimées avec le texte de la pièce prouvent en quelle enfance était encore l’art de la scène. « Pour imiter le tonnerre, dit-il quelque part, on roulera des pierres dans un tonneau. » Ailleurs, en parlant des soldats de Scipion : « Ils doivent, dit-il, être armés à l’antique, et sans arquebuses, » craignant sans doute qu’on ne montrât les légions romaines avec l’uniforme des tercios du duc d’Albe.

Malgré les imperfections du théâtre tragique espagnol, on peut dire qu’il était, à la fin du seizième siècle, égal à celui d’Italie, et bien supérieur, tant à celui d’Angleterre, lorsque Shakespeare parut vers la même époque, que même à celui de France, avant la venue de Corneille un demi-siècle plus tard. Il fallait qu’au milieu de ces essais déjà recommandables s’élevât quelque génie qui