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Tellez, qui, du fond de son couvent, et sous le nom supposé de Tirso de Molina, jeta sur le théâtre un assez grand nombre de pièces qui furent ensuite recueillies et publiées par son neveu. Peut-être est-il moins ingénieux que Calderon, et moins délicat que Moreto ; mais il est supérieur à tous les poètes de son pays par la malice et la gaîté. Dans ses argumens, il fait assez peu de cas de toute règle, et sacrifie même aisément la vraisemblance. Ce qu’il cherche, c’est l’occasion de placer les saillies d’un esprit rieur et caustique, de donner carrière à une liberté de langage poussée jusqu’à la licence, à une hardiesse de pensée qui ne respecte ni les puissances de la terre, ni même celles du ciel. Il n’épargne rien, il s’attaque à tout ce qui le choque ou le divertit, et fait en quelque sorte de ses comédies de longues épigrammes. Si l’on voulait faire connaître par analogie le genre de talent de Tirso de Molina, je ne connais qu’un seul écrivain auquel on pût le comparer, Beaumarchais ; et réellement il existe entre ces deux hommes la plus singulière ressemblance. Aussi suis-je bien convaincu que de toutes les pièces du théâtre espagnol celles de Tirso de Molina sont celles qui nous plairaient le plus à nous autres Français. Ce sont pourtant les moins connues. En Espagne, où Lope et Calderon ne figurent plus que dans les bibliothèques, Tirso de Molina se montre encore aujourd’hui sur le théâtre, et le goût très prononcé du prince actuel pour les moqueries graveleuses du moine de la Merci a fait taire les susceptibilités de police que devaient éveiller ses hardies critiques des grands. Ferdinand vii affectionne surtout la comédie intitulée Don Gil des chausses vertes (Don Gil el de las calzas verdes) ; c’est un plat de régal que la municipalité de Madrid lui fait servir habituellement dans les jours de solennité.

La brillante époque du théâtre espagnol est renfermée dans la première moitié du dix-septième siècle. Le goût du monarque, de la cour et de la nation, avait jeté tous les gens de lettres dans cette carrière, la plus glorieuse alors et la plus lucrative. Outre les trois grands maîtres que je viens de citer, et qui méritaient une mention spéciale, il existait alors une foule d’auteurs du second ordre, dont on ne saurait sans injustice se dispenser de rappeler au moins les noms. À leur tête, il faut placer Francisco de Rojas, qui mar-